Survie

Perpétuité confirmée en appel

rédigé le 8 juillet 2018 (mis en ligne le 28 septembre 2018) - Laurence Dawidowicz

La condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité d’Octavien Ngenzi et Tito Baharira a été
confirmée en appel par la Cour d’assises de Paris. Les deux ex-bourgmestres comparaissaient
pour des faits de génocide et crime contre l’humanité commis en avril 1994 dans la commune
de Kabarondo au Rwanda.

Le verdict est tombé le vendredi 6 juillet
2018 après un long procès de huit se­maines qui s’est déroulé du 2 mai au 6
juillet 2018. Survie était partie civile, aux cô­tés de personnes physiques et d’autres asso­ciations comme le Collectif des Parties Civiles
pour le Rwanda (CPCR), la Fédération inter­nationale des ligues des droits de l’Homme
(FIDH), la LDH française, la LICRA.
Après avoir fui le Rwanda, les deux accu­sés s’étaient installés en France. C’est donc
ici qu’a eu lieu leur procès, en vertu de la
compétence universelle de la justice fran­çaise pour de tels crimes imprescriptibles,
pour lesquels les limites territoriales de la
compétence sont abolies.

Un génocide planifié

La Cour d’assises a rappelé la réalité du
génocide contre les Tutsi du Rwanda en
1994, admise par les accusés eux­-mêmes.
Elle a souligné non seulement que l’exis­tence de ce génocide est un fait acquis pour
« la communauté universelle représentée
par les gouvernants, les chercheurs et les
universitaires
 » mais aussi par les jurispru­dences internationales (Tribunal Pénal Inter­
national pour le Rwanda) et nationales :
française, belge, suédoise, canadienne, alle­mande ou encore finlandaise.
Au cours de l’audience, des témoins de
contexte sont venus tout d’abord éclairer les
jurés sur l’histoire du Rwanda, celle qui a
mené au génocide. Le professeur Stéphane
Audoin­-Rouzeau, notamment, a tenu des
propos très clairs : « On est dans une plani­fication ». L’un des éléments démontrant le
plan concerté est le fait que les deux tiers
des victimes ont été tuées dans les pre­mières semaines : les massacres n’auraient
pas eu une telle efficacité sans plan d’exter­mination.
L’historienne Hélène Dumas a quant à
elle rappelé que « les enfants ne savaient
pas qu’ils étaient Tutsi. C’est à l’école qu’ils
vont l’apprendre, les familles ayant gardé
le silence sur les massacres [de Tutsi] anté­rieurs [au génocide de 1994].
 » Les familles
taisaient à la fois l’appartenance au groupe
tutsi et les massacres qui en découlaient.
Pour les victimes comme pour les bour­reaux, ces tueries étaient la norme, et l’im­punité régnait.

Témoins rwandais fiables

On peut s’interroger sur d’autres témoins
de contexte cités par la défense. Ainsi, le ju­riste belge Filip Reytjens a finalement décidé
de ne pas venir témoigner devant la Cour d’as­sises, après avoir accepté... en demandant à
ne pas prêter le serment du témoin de dire la
vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Quant
à Pierre Péan, pour qui les Tutsi sont maitres
dans l’art de la tromperie, son témoignage n’a
pas été retenu par la Cour d’assises.
La Cour a par ailleurs jugé que la mise en
cause de la parole des témoins rwandais par
les deux accusés ne pouvait résister à l’exa­men. Ngenzi et Barahira insinuaient que ces
témoins avaient subi des pressions des autori­tés de Kigali, étaient instrumentalisés par des
associations parties civiles, ou étaient de mauvaise foi. La Cour indique avoir confronté les
témoignages afin de dégager une cohérence
d’ensemble qui a permis d’établir la responsa­bilité pénale des deux accusés malgré leurs
dénégations contradictoires et incohérentes.
Le contre-feu consistant pour la défense à
faire citer des témoins concernant l’attentat
du 6 avril 1994, signal de déclenchement du
génocide, pour lequel une instruction est tou­jours en cours en France, n’a pas plus pris.

Des faits caractérisés

La Cour d’assises, après avoir rappelé l’au­torité et l’influence des deux accusés sur la po­pulation de leur commune notamment en
raison de leur fonction de bourgmestre, a dé­terminé quels ont été leur rôle et leur partici­pation aux crimes reprochés.
Il a été retenu contre Octavien Ngenzi
d’avoir activement encouragé la population de
Kabarondo à participer aux massacres des Tut­si sur sa commune, mais aussi d’avoir sollicité
les militaires dans l’assaut des réfugiés à l’église
de Kabarondo qui a fait des milliers de morts
sur la seule journée du 13 avril 1994, et enfin
d’avoir pris part à la sélection des survivants
aux fins d’élimination des seuls Tutsi. Sa res­ponsabilité dans les perquisitions de domiciles
de Tutsi de sa commune et dans l’exécution
d’occupants tutsi a également été retenue par
la Cour d’assises.
Quant à Tito Barahira, la Cour d’assises a
relevé sa présence armée dans diverses at­taques contre la population tutsi, sa participa­tion à une réunion de la population au cours de laquelle il a incité à tuer les Tutsi ou encore
son intervention lors du massacre des réfugiés
de l’église de Kabarondo.
Les accusés peuvent encore former un
pourvoi en cassation contre cet arrêt, faute de
quoi cette décision de justice sera définitive.
Ce procès en appel est le deuxième de ce
type après celui de Pascal Simbikangwa, dont
la condamnation à 25 ans de réclusion crimi­nelle est définitive depuis le rejet de son pour­voi en cassation le 24 mai 2018.
Il fait partie d’une longue série de procé­dures judiciaires ouvertes contre des ressor­tissants rwandais installés en France et suspectés
de crimes commis pendant le génocide contre
les Tutsi au Rwanda.

Non-lieu contesté

L’ordonnance de non­-lieu rendue au bé­néfice de l’abbé Wenceslas Munyeshyaka a été
récemment confirmée par la Chambre de l’ins­truction de la Cour d’appel de Paris. Des pour­vois en cassation ont été formés par certaines
parties civiles afin de tenter d’obtenir un pro­cès contre celui­-ci.
L’un des points de droit important dans
cette affaire sera de savoir si les charges rete­nues contre Munyeshyaka devraient être ap­préciées en fonction des normes légales
internationales et non au regard du droit fran­çais. En effet, selon les juges de la cour d’ap­pel, l’instruction n’aurait mis en lumière que
des faits susceptibles de constituer une « abs­tention » tandis que les accusations de viols,
fournitures de listes de Tutsi, dénonciations
de personnalités ciblées n’ont pas été démontrées du fait des variations des témoignages.
La justice française en conclut donc que si Munyeshyaka ne s’opposait pas de manière
frontale aux génocidaires, il n’est pas démontré
qu’il s’est, par des actes concrets, rendu
coupable ou complice de génocide par aide
ou assistance. Or, sur ce point, la jurisprudence
du Tribunal Pénal International pour le Rwanda
considère que la responsabilité peut être
retenue du fait de la seule présence sur un lieu
où se commet le génocide car le défaut
d’opposition à la commission de crimes
constitue une forme d’encouragement tacite
pour une personne détenant une position
d’autorité, ce qui était le cas de Munyeshyaka.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 279 - juillet-août 2018
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