Survie

Simone Weil « Contre le colonialisme »

rédigé le juillet 2018 (mis en ligne le 1er avril 2020) - Patrice Alric

C’est un petit livre d’une centaine de pages, publié il y a quelques mois à peine chez Payot Rivages. Il nous fait (re)découvrir une face assez méconnue de l’œuvre de la philosophe Simone Weil (1909-1943) : son engagement contre le colonialisme à une époque où les voix anticoloniales en France sont bien rares

Quel peut être l’intérêt de parler aujourd’hui de ce petit recueil d’articles rédigés dans les années 1930 et au début 1940 ? C’est que Simone Weil y pose une question qui résonne aujourd’hui encore : que fait la colonisation aux colonisés et que fait-elle aux États coloniaux et à leurs citoyens ?

Simone Weil (1909-1943), à ne pas confondre avec son homonyme Simone Veil, récemment panthéonisée


Elle est la première, avant Aimé Césaire dans Discours sur le colonialisme (1950), et avant Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme (1951), qui reprendront cette idée, à mettre en avant la parenté entre colonialisme et nazisme : «  L’hitlérisme consiste dans l’application par l’Allemagne au continent européen, et plus généralement aux pays de race blanche, des méthodes de la conquête et de la domination coloniales ». Un peu plus loin, elle affirme qu’« il ne serait pas difficile de trouver une colonie appartenant à un État démocratique où la contrainte soit, à bien des égards, pire que dans le pire État totalitaire d’Europe  ». Pour Simone Weil, le colonialisme est l’exemple le plus clair de la domination comme négation de la culture de l’autre. Le colonisateur, du fait des préjugés ethnocentristes, pense n’avoir rien à apprendre de l’autre. Elle inverse le point de vue habituel qui consiste à dire que les autochtones sont dans l’ignorance et le mythe, tandis que les Européens seraient détenteurs du savoir. En réalité, pour elle, ce sont les Européens qui sont dans l’ignorance. La colonisation n’est donc pas une coexistence, c’est le contraire de la rencontre entre les cultures.
Mais au fond, ce qui la met particulièrement en colère, c’est l’indifférence et le mépris qui règnent envers les populations colonisées jusque dans les rangs de son camp politique : celui du Front Populaire (Simone Weil est alors une figure du communisme anti-autoritaire). Dans un article de 1937 qui commence par la mention d’un massacre colonial en Tunisie, celle-ci est sidérée par la quasi absence de réaction en France : « Nous (ceux du Front Populaire) sommes semblables aux bourgeois. Un patron est capable de condamner ses ouvriers à la plus atroce misère ; et nous, qui nous unissons au nom de la lutte contre la misère et l’oppression, nous sommes indifférents au sort inhumain que subissent au loin des millions d’hommes qui dépendent de la politique de notre pays ». Pour elle, ce tri réalisé parmi les opprimés vide de son sens un mouvement incapable de regarder en face ses propres pratiques de domination et de ségrégation, et dont l’ambition émancipatrice ne parait plus être qu’un mensonge. Elle avait notamment pu observer, lorsqu’elle travaillait comme ouvrière spécialisée dans les usines Renault de 1934 à 1935, comment les ouvriers algériens étaient dépourvus de tout droit et pouvaient être sommairement expulsés de France dans l’indifférence générale.
C’est peut être ici que l’on peut faire le parallèle avec la politique néocoloniale de la France : rares sont les mouvements politiques, même parmi ceux qui s’affirment internationalistes ou anti-impérialistes, qui mettent réellement la question des conséquences des politiques néo coloniales françaises au cœur de leur analyse et de leur action.

Simone Weil, Contre le colonialisme, éd. Payot-Rivages, février 2018, 112 pages, 6,50€


Comme l’écrit Simone Weil, si la colonisation avilit le colonisé, elle avilit tout autant le colonisateur. Que vaut une société qui vit aux dépens de l’exploitation d’autres sociétés, dans la conscience bienheureuse de celui qui ne veut pas voir la misère et l’oppression qu’il exerce ? Il faut penser une décolonisation intérieure des peuples marqués et déracinés par la domination coloniale. Et cette mission de décolonisation des esprits paraît tout aussi urgente dans la France d’aujourd’hui.
Patrice Alric

Culture coloniale

Début juillet, Emmanuel Macron a profité de son voyage au Nigéria pour ressortir son argument favori dès lors qu’il doit s’exprimer sur sa politique africaine : «  60% de la population nigériane a moins de 25 ans. C’est 60% de la population qui, comme moi, n’a pas connu la colonisation. Nous sommes la nouvelle génération. Nous allons dépasser les préjugés en reconstruisant par la culture. » Le président du « nouveau monde », qui vante les mérites de la culture, se livre tranquillement au plagiat de son très françafricain prédécesseur Nicolas Sarkozy qui, en février 2010 au Gabon, déclarait tout aussi crânement « Je n’appartiens pas à la génération de la colonisation. Je n’en ai pas les réseaux (...), je n’en ai pas non plus les complexes.  » Un argument éculé, donc, qui a entraîné en réponse à Emmanuel Macron une mise au point aussi brève qu’efficace de la part du journaliste Théophile Kouamouo, sur Twitter : «  celui qui n’a pas connu la colonisation côté colonisateur et celui qui ne l’a pas connue côté colonisé n’en sont pas au même point. Le premier continue de jouir de l’usufruit colonial et le second de le subir.  »

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 279 - juillet-août 2018
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