Le 13 novembre, Donald Trump a encore créé la
tempête sur Twitter, mais cette fois en taclant
ironiquement la faible popularité d’Emmanuel
Macron, son projet de défense européenne et le prix
du vin français, avant de conclure « Make France great
again » (traduction : Rendez sa grandeur à la France).
Politiques et éditorialistes, en écho aux champions du
monde de football, s’en sont bruyamment offusqués,
comme pour lui donner raison d’avoir écrit dans le
même élan que les Français sont « des gens très
fiers ». L’anecdote ne nous apprend pas grand-chose
sur la psychologie du président états-unien, ni sur sa
relation diplomatique avec Emmanuel Macron. Mais
elle révèle une fois de plus, par
la façon dont elle a été traitée
dans le débat public, à quel
point l’histoire et les raisons
de la « grandeur » française ne
sont pas questionnées dans
notre pays. Qu’un petit
territoire puisse avoir une telle
puissance ne s’explique, dans l’inconscient collectif,
que par une « grande histoire » : un poncif solidement
ancré dans notre imaginaire colonial. De quoi parle-t-on ? D’un petit territoire « métropolitain » d’environ
550 000 km2, soit une superficie comprise entre celles
du Kenya et du Yémen, où vivent environ 65 millions
de personnes (0,86 % de la population mondiale),
soit une population comprise entre celles de la
Thaïlande et de l’Italie. Et de la sensation d’héritage
collectif d’un empire de plus ou moins 12 millions de
km2 à son apogée, une superficie comprise entre
celles des Etats-Unis et de la Russie aujourd’hui, et
environ 100 millions d’âmes (dont 60 millions hors
métropole et sévèrement opprimées), soit environ
4 % de ce qu’on estime être la population mondiale
d’alors – comme les Etats-Unis aujourd’hui (4,3% de
la population mondiale actuelle, à opposer aux
19,4 % représentés par la Chine...).
Mais la petite France veut toujours « rayonner » à
l’international. Elle s’accroche aux confettis de son
Empire, territoires « d’outremer » où se réveillent
parfois des aspirations indépendantistes : qu’un
premier référendum arraché de décennies de haute
lutte mais organisé avec des listes douteuses aboutisse
à la prolongation de la tutelle de Paris sur la Kanaky,
et le président de la République exprime son
« immense fierté » que « la Nouvelle Calédonie reste
française ». Cette petite France entend toujours peser
dans son pré carré africain, et s’opposer aux
influences concurrentes d’autres géants impériaux :
que les Russes développent leur présence en
Centrafrique, et le ministre
des Affaires étrangères est
lâché pour aboyer jalousement
sur les intrus. Elle entend
enfin toujours rassembler sous
les ors de la République des
dizaines de chefs d’Etats et de
gouvernement, à l’occasion
d’un « forum sur la paix » précédé d’un déjeuner où
sont conviés à la table d’honneur, entre autres
criminels, le Congolais Sassou Nguesso, le Tchadien
Idriss Deby, le Marocain Mohammed VI... Pactiser
avec les pires despotes au nom de la paix, voilà au
passage une façon singulière pour Emmanuel Macron
de célébrer les 80 ans des accords de Munich, plutôt
que le centenaire d’un fragile armistice.
Trump est connu pour ne pas réfléchir, mais la
« grandeur » de la France reste un impensé partagé
par l’ensemble du spectre politique français, aveuglé
par un fantasme de puissance. C’est pourtant bien
notre héritage de guerres d’invasion, d’exterminations
menées de facto ou de façon organisée, de
domination sanglante, qui fait la « grandeur » du
trône élyséen dont se prévaut aujourd’hui celui que
l’on surnomme Jupiter.