Survie

Burkina Faso : « L’armée française devrait rebrousser chemin »

rédigé le 5 décembre 2018 (mis en ligne le 1er avril 2020) - Nicolas Charbonneau

Plus de 4 ans après le renversement par la rue du dictateur Blaise Compaoré (exfiltré du pays par l’armée française), une petite musique s’installe pour laisser entendre, au vu de "l’instabilité" dans le pays, que les Burkinabè pourraient déchanter. Début décembre, nous avons interrogé Serge Bayala, un des leaders des récentes contestations étudiantes et co-organisateur des débats panafricanistes "2h pour nous, 2h pour l’Afrique" sur le campus de Ouagadougou.


Billets : En 2014, la jeunesse burkinabè a arraché l’alternance, mais de plus en plus de voix disent qu’elle déchante, puisque cela n’a pas suffi à apporter l’alternative. Quatre ans après l’insurrection, comment percevez-vous ces bilans négatifs voire pessimistes ?

Les Burkinabè devraient-ils s’attendre à des miracles ? Evidemment que non. La jeunesse ne déchante pas de l’alternance en tant que principe de renouvellement des élites au sommet de l’Etat, mais déchante surtout des hommes qui sont arrivés au pouvoir en vertu de ce principe sacro-saint qui doit forcément précéder, dans l’ordre chronologique, l’alternative. Ce bilan qui force un certain pessimisme est d’abord lié à l’incapacité des acteurs actuels à offrir un renouveau qualitatif. Ce personnel en charge de l’Etat s’est familiarisé depuis une vieille carrière politique de 40 ans au moins, pour la majorité d’entre eux, à une culture politique du sous-développement (affairisme, corruption, mensonges d’Etat…). Ils ont atteint aujourd’hui le seuil maximum de leur incompétence, ce qui rend non surprenante leur performance à la tête du pays pour tous les citoyens avisés.

Comment analysez-vous la situation dans le nord et à l’est du pays, où la situation s’est considérablement dégradée ?
La situation sécuritaire au nord et à l’est du pays fait clairement suite au sentiment d’autodétermination du peuple burkinabè, pour le sanctionner. Ce honteux harcèlement des forces de sécurité n’est selon moi pas du djihadisme idéologique mais plutôt une coalition incestueuse de forces politiques déchues qui s’appuient sur des groupes de bandits de grands chemins et des terroristes qui opéraient tranquillement au Nord pour les trafics de tout genre. Cette fragilité sécuritaire est liée fondamentalement à l’absence pendant plus d’un quart de siècle d’institutions solides à même de mailler tout le territoire et surtout dans ces zones les plus stratégiques et sensibles. La stratégie militaire a été essentiellement axée depuis la colonisation sur la répression des adversaires politiques et ne s’est pas, jusqu’à récemment, réinventée au-delà de cette pitoyable mission, exception faite de la période du Conseil national de la révolution sous Thomas Sankara. Il faut aussi noter que les zones touchées par ce nouveau type de terrorisme regorgent de minerais comme l’or, l’uranium, le pétrole récemment découvert vers le nord-ouest du pays. Il faut donc questionner plus loin les sources de cette insécurité subite dont notre pays est victime.

Pendant l’insurrection populaire en 2014 ou lors du coup d’Etat avorté en 2015, la France n’avait pas toujours été du côté des forces progressistes. Ce qui avait attiré les foudres de la jeunesse et fait monter le sentiment "anti-français". Pensez vous que les mêmes qui critiquaient hier la politique française au Sahel, ont changé d’avis ? comment sont aujourd’hui perçus les militaires français présents dans le pays ou les pays voisins ?
La perception de la France dans le Sahel reste la même : fortement dépréciée ! Les récents scandales sexuels impliquant des militaires français vis à vis de gamines dans la capitale Ouagadougou ont conforté même les plus sceptiques sur le caractère négatif de cet outil de néocolonialisme. Il y a une impression de projet de recolonisation non assumé. Cela accentue progressivement dans l’opinion un sentiment anti-français, déjà boosté par le rôle crapuleux que la France et son armée officiellement pro-démocratie, pro-droits de l’homme et pro-justice ont joué dans l’exfiltration du dictateur Blaise Compaoré pendant l’insurrection populaire de 2014. Puis elle a donné toute honte bue un asile doré à François Compaoré inculpé dans le crime du journaliste Norbert Zongo. L’armée française est donc fortement contestée et vue comme un symbole de la Françafrique. Vous retrouverez dans l’opinion publique cet avis partagé qui est que la présence de l’armée française a renforcé le fait que nous soyons une cible aujourd’hui bien prisée du terrorisme. Elle devrait rebrousser chemin pour aller plutôt aider à la sécurisation du territoire français et de ses citoyens.

Donc vous pensez que l’armée française doit se retirer du Burkina Faso ?
Oui, elle doit purement et simplement se retirer et cela va fortement contribuer à pacifier le Sahel débordant de richesses. Cela favorisera un développement responsabilisé des Africains qui n’ont aujourd’hui pas besoin d’aide au développement, ni qu’on les sécurise à leur propre place.

Concernant l’enquête sur la mort de Thomas Sankara, pensez-vous que les autorités burkinabè font tout leur possible pour faire toute la lumière ? et les promesses faites par Emmanuel Macron à ce sujet, lors de sa venue à Ouagadougou il y a un an, vous semblent-elles tenues ?

Il faut saluer les promesses de Macron quant à la déclassification des archives françaises de l’époque pour aider à élucider le rôle que la France a joué dans le complot international de l’assassinat de Sankara. Mais il ne faut pas tomber dans une certaine naïveté. La réalité de cette annonce populiste et propagandiste c’est qu’elle se heurte à la sincérité des autorités publiques françaises qui commencent à dire que ce ne seront pas toutes les archives mais une partie seulement qui seront rendues publiques. Et certainement les moins culpabilisantes et les moins à même de décrédibiliser la « grande France ».
L’annonce ayant été publique, il nous appartient de pousser les autorités politiques françaises au bout de leur logique en leur rappelant cette déclaration officielle !

Propos recueillis-par Nicolas Charbonneau

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