Survie

Guyane, Trésors et conquêtes : Notes de lecture

rédigé le 9 septembre 2018 (mis en ligne le 1er avril 2020) - Gérard Moreau

La revue Z, qui se définit comme « revue itinérante d’enquête et de critique sociale » a posé ses valises en Guyane pour composer son 12e numéro sous-titré « Trésors et conquêtes ». Une enquête aux multiples méandres, articulée autour d’un lieu, la Guyane, et plus largement l’Amérique latine, et d’une thématique : les mines.


Dès le premier article, le parti pris de la revue Z s’affiche clairement, il s’agit d’une plongée dans la domination coloniale, et d’une critique catégorique de l’extractivisme qui se situe au cœur du capitalisme. L’architecture de la revue permet de diversifier les approches, 29 articles d’auteurs différents dressent un tableau complexe, en kaléidoscope : enquêtes, entretiens, témoignages, analyses, histoire, poésie.

On se concentre sur la Guyane tout en prenant en compte le contexte amazonien, avec le Suriname, la Bolivie, le Brésil, et l’histoire du continent. Pour autant, les auteurs ne se situent jamais au dessus de la mêlée. Ils racontent, au plus près des personnes, de leur vie quotidienne, des tensions, des contradictions, de leur intimité, parfois.
Structurée en trois parties - sous-sol, sol, et ciel - la revue est ponctuée de photos et dessins qui reflètent cette atmosphère de brutalité subie par les humains et la nature.

Sous-sol

Dès l’introduction, les auteurs font le lien entre extractivisme et système économique capitaliste : « Pourquoi les Blancs sont-ils appelés les "mangeurs de terre" par les Yanomamis du Brésil ? Parce que notre monde est totalement structuré par les métaux. »
A travers 13 articles, la revue offre un panorama des ravages de l’extractivisme, en commençant par un retour historique sur la conquête latino-américaine à travers l’exemple de la Bolivie et celui de la Guyane. L’article consacré à l’histoire de la ville minière de Potosi en Bolivie, montre que la fièvre extractiviste a touché tout le continent sud-américain : travail forcé, esclavage, déplacement de populations, déstructuration des sociétés, conditions de travail épouvantables, et pollution par le mercure. Et si la colonisation de la Guyane a été basée principalement sur une économie de plantations esclavagistes, les ressources aurifères du sous-sol sont aujourd’hui au cœur des enjeux comme en témoigne le projet actuel « Montagne d’or » et les problématiques liées à l’orpaillage illégal. Deux facettes d’une même question, à laquelle la revue consacre une large place.
Le projet « Montagne d’or » se résume en quelques mots : « L’idée est de creuser une fosse à ciel ouvert de 2,5 km de long pour 400m de large, sur des centaines de mètres de profondeur  » (p. 36). « Pour produire ne serait-ce qu’un kilo d’or, il faut broyer près de 700 000 tonnes de minerai  » (p.37). La Montagne d’or accouche d’une montagne de déchets toxiques.
Parmi les groupes qui s’opposent au projet Montagne d’or l’association JAG, Jeunesse autochtone de Guyane se fait l’héritière des grandes conceptions panthéistes de leurs ancêtres. « Chez nous, les collines sont vivantes, les roches sont vivantes, l’eau est vivante. L’eau a une âme. (...) On ne veut pas protéger la nature, on ne parle même pas de nature. On appartient à la Terre, la Terre nous appartient. » (p.41) Et il ne s’agit pas de discours métaphysiques : « Vos 32 camions, nous, on va les arrêter, c’est simple  » (p.49).
L’enquête sur l’orpaillage en Guyane s’étend jusqu’à un site d’orpaillage industriel de la société Iamgold, à Rosebel, au Suriname. Conclusion de l’une des personnes rencontrées : « Il faut le dire aux gens de la Guyane française. Les compagnies minières ne respectent rien. Ne les laissez pas commencer leur exploitation » (p.79).

Sol

Avec la même démarche complexe, la revue consacre plusieurs articles au pillage des ressources naturelles en Guyane, à commencer par la forêt, et pose la question de la propriété du foncier, puisque l’Etat français s’est autoproclamé propriétaire du sol, avec le "droit" d’expulser arbitrairement. « Nous ne comprenons pas pourquoi la notion de propriété privée de la terre qui est la vôtre doit primer sur la notion de propriété collective qui est la nôtre. » (p.107) Une approche non linéaire, avec des détours par le lien entre croyances traditionnelles et les pratiques économico sociales, et une évocation de pratiques du marronnage, où les groupes se sont forgé des règles très spécifiques afin d’empêcher la concentration de la richesse et du pouvoir.

Ciel

La troisième partie de la revue est consacrée au "ciel", c’est-à-dire au site de Kourou, base de lancement des fusées Ariane et au mouvement "Pou lagwiyann dékolé" de 2017.
Expulsion des habitants, création d’un barrage, artificialisation des sols et pollutions, avec son lot de conséquences. La revue présente aussi bien un entretien très personnel qu’une réflexion plus théorique sur le rapport à l’espace qui offre aux appétits productivistes un territoire infini à coloniser… Après tous ces articles, le récit du mouvement social qui a secoué toute la Guyane en mars 2017 arrive comme une sorte de sursaut de vitalité face à tous ces ravages et destructions.
Une lecture dense, complexe, pleine d’énergie qui donne un tableau concentré de ce que représente le rapport colonial hier et aujourd’hui et les luttes pour s’en défaire.
Gérard Moreau

Revue Z n°12 (automne 2018), 232 pages. 15 euros, à commander en librairie

La guyane, capitale sud-américaine du « rayonnement » de la France

Début 1981, l’État français décide de construire un centre émetteur ondes courtes confié à l’opérateur Télé-Diffusion de France (TDF) à Montsinéry-Tonnegrande, à une quarantaine de kilomètres de Cayenne. Il s’agit d’étendre la couverture de Radio-France International (RFI), pour couvrir l’Amérique latine mais aussi l’Afrique de l’Ouest. Ce site guyanais de 127 hectares sert ainsi pendant 30 ans de point d’appui au « soft power » français, le pouvoir d’influence pudiquement considéré comme du « rayonnement », même si TDF en fait progressivement bénéficier d’autres radios, notamment Radio Suisse Internationale et la BBC. Depuis 2013, les différentes antennes ont cessé d’émettre, même si la France « rayonne » toujours : la radio, rejointe par la télévision, sont désormais diffusées par réseau numérique. Depuis, TDF a fait réhabiliter une partie du site par la pose de panneaux photovoltaïques.

Une des deux antennes « Toucan », tournantes, installées dans les années 1990 (Crédit photo Survie, DR)
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