Survie

Le génocide rwandais n’existe pas

rédigé le 25 février 2019 (mis en ligne le 2 mars 2020) - Ruben Morin

Cette année encore, plusieurs dépêches d’agence de presse, titres d’articles et reportages TV évoquaient un « génocide rwandais ». « C’est-à-dire le génocide de rien, [car] c’est ne rien désigner », comme l’expliquait sur France Inter le journaliste Patrick de Saint-Exupéry… il y a déjà 10 ans.

Le 16 juin 2006 la Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda a dressé le constat judiciaire concluant qu’il était « un fait de notoriété publique » qu’ « entre le 6 avril et le 17 juillet 1994, un génocide a été perpétré au Rwanda contre le groupe ethnique tutsi ». En janvier 2018 l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté une décision par laquelle elle changeait le nom du 7 avril qui, de la « Journée internationale de réflexion sur le génocide au Rwanda », devenait « Journée internationale de réflexion sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 ». Cette décision présentée par l’État rwandais rappelle également que durant le génocide, des Hutus et d’autres personnes s’étant opposés au génocide ont également été tués. La représentante permanente du Rwanda auprès des Nations Unies a souligné que l’adoption à l’unanimité de cette décision était une déclaration forte que l’ONU ne sera pas une plate-forme pour le négationnisme. Et Emmanuel Macron souhaite « que la date du 7 avril soit désormais une journée de commémoration du génocide des Tutsis » selon l’Élysée. D’avril à juillet 1994, au Rwanda, les victimes du génocide, c’est-à-dire le groupe social visé par l’entreprise d’extermination planifiée, furent bien uniquement les Tutsis : fœtus, bébés, enfants, hommes, femmes, vieillards. Tout comme les résistants furent victimes des nazis, des Hutus payèrent de leur vie leur engagement politique, et même si certains massacres relèvent de la qualification de crimes contre l’humanité, leurs bébés n’ont pas été exterminés parce qu’ils étaient nés « Hutus modérés ».

Des progrès, mais...

Ainsi donc, bien trop lentement mais sûrement, la juste dénomination de ce génocide s’impose et l’on observe de plus en plus un effort des journalistes et autres commentateurs de ce drame pour ne plus mal nommer les choses. Notons par exemple que la sociologue Claudine Vidal, qui a par ailleurs une analyse de l’implication française auprès des génocidaires bien différente de celle de Survie, a invité la journaliste de France 24 (7/04) à « ne pas dire génocide rwandais mais génocide au Rwanda », la journaliste se reprenant de suite : « bien sûr, génocide des Tutsis au Rwanda ». De fait, « génocide au Rwanda » pose le même problème en refusant la juste désignation des victimes.

Celles et ceux qui utilisent cette sémantique trompeuse, qu’ils le fassent sciemment ou non, persistent à prétendre que d’autres que les Tutsis furent victimes du génocide. Ou bien, plus grave encore, ils requalifient le génocide des Tutsis en « guerre ethnique », signifiant une équivalence entre les victimes et les auteurs de ce crime planifié et organisé par un État, son administration et son armée. Depuis la modification en janvier 2017 de l’article 24 bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, condamnant la négation de tout génocide reconnu par un Tribunal international (donc le génocide des Tutsis au même titre que celui des Juifs, mais par encore des Roms et des Arméniens), ils s’exposent d’ailleurs à être poursuivis en justice.

...certains persistent !

Des écrits comme ceux de l’ancien député des Yvelines Jacques Myard, qui fut membre de la mission d’information parlementaire sur le Rwanda en 1998, sont aujourd’hui clairement inacceptables. Celui-ci publiait sur son blog le 7 avril dernier : « L’Elysée a décidé aujourd’hui de nommer une commission pour établir la vérité sur la tragédie du génocide du RWANDA en 1994 où les Hutus et Tutsis se sont massacrés réciproquement, et qui fit sans doute près d’un million de morts. » Même indignation et écœurement à la vue d’un dessin de Sergueï dans le journal Le Monde le 12 avril, mettant en scène une réciprocité de massacres entre sauvages aux pieds nus – un monument de propagande à la fois en faveur de la thèse négationniste du « double-génocide » et du cliché de l’Africain dans l’imaginaire néo-colonial occidental.

Aujourd’hui il faut être soit mal intentionné soit mal informé pour continuer à parler de génocide rwandais, car personne n’a été tué pour le simple fait d’être rwandais. De la même manière qu’on ne parle pas de « génocide européen » pour désigner la Shoah et le génocide des Roms, le génocide rwandais n’existe pas.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 285 - mars-avril 2019
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