Survie

France-Libye : perseverare diabolicum...

rédigé le 2 mai 2019 (mis en ligne le 9 mars 2020) - Raphaël Granvaud

Deux mois après l’offensive du maréchal Haftar sur Tripoli, les autorités françaises se refusent toujours à condamner la tentative de coup d’État de ce dernier et à dénoncer sa responsabilité dans la reprise d’une guerre civile qui promet d’être particulièrement meurtrière.

Macron a, à plusieurs reprises,
réaffirmé « le soutien de la France
au gouvernement d’entente
nationale
 » de Fayez el­-Sarraj, tandis que Le
Drian justifiait dans Le Figaro (02/05) le
soutien accordé à Haftar. Le premier a été
reçu à l’Elysée le 8 mai ; le second le 22 mai,
la France affectant d’œuvrer à la recherche
d’un cessez­-le-­feu « sans condition », c’est-­à-­
dire sans exiger le retrait d’Haftar. Dans le
même temps, on apprenait (Maghreb
Confidentiel
, 02/05) que « deux appareils de
CAE Aviation, sous-­traitant habituel de la
DGSE (Direction générale de la sécurité
extérieure) ont effectué, depuis le début des
opérations [d’Haftar sur Tripoli], de
nombreux survols de la capitale
 ». Rien ne
prouve « qu’ils transmettent leurs
renseignements à l’ANL, mais l’un de ces
appareils a longtemps évolué au bénéfice
exclusif de Haftar...
 », commente la
publication confidentielle. Abdulhadi Ibrahim
Iahweej, ministre des Affaires étrangères du
camp Haftar, concluait une interview au
Figaro (25/04) par ces mots de
remerciement : « La France est un
partenaire central pour trouver une
solution. C’est le pays des libertés. Elle lutte,
comme nous, contre le terrorisme. Nous
partageons ces principes. Et nous
souhaitons que les entreprises françaises
participent à la reconstruction de la Libye.
 »
Pour justifier le soutien français à Haftar,
Le Drian (Le Figaro 02/05) entonne le refrain habituel :
« Haftar a lutté contre le terrorisme à
Benghazi et dans le sud de la Libye, et cela
était dans notre intérêt, celui des pays du
Sahel, celui des voisins de la Libye. Je
soutiens tout ce qui sert la sécurité des
Français et des pays amis de la France.
 » Il
reprend aussi volontiers la rhétorique du
militaire libyen : « Et dans le camp de ses
opposants, on trouve parmi les miliciens des
responsables de hold-­up, des spécialistes de
la prédation et des djihadistes.
 » En réalité,
comme le rappelle le professeur Ali Bensaad
(Orient XXI, 22/05), les islamistes radicaux
avaient été « définitivement balayés de
Tripoli au milieu de l’année 2017
 » et « c’est
donc une capitale expurgée de ses islamistes
radicaux que Khalifa Haftar attaque.
 » Mais
ce faisant, « en suscitant contre Khalifa Haf­tar une union sacrée alimentée par la peur
d’un pouvoir autoritaire militarisé, l’offen­sive contre Tripoli lancée en avril 2019 a
déjà eu pour effet de légitimer le retour
d’une partie des islamistes radicaux chassés
de Tripoli en 2017. C’est le cas de la milice
de Salah Badi qui, sans attendre d’y être in­vitée, s’est rendue sur le front au nom de la
défense de Tripoli (…). Autant de signes
confirmant que l’autoritarisme et l’islam
radical se nourrissent mutuellement.
 »
Transmis à Le Drian qui, sincèrement ou non,
croit toujours aux vertus des hommes forts
pour endiguer le djihadisme...
Le comble du cynisme est également
atteint quand notre ministre des Affaires
étrangères convoque le sort des migrants
pour justifier la politique française : « Parmi
les opposants à Haftar, il y a les groupes
mafieux de passeurs qui torturent et mettent
en esclavage des migrants. Ils ne se battent
pas pour Sarraj mais pour la protection de
leurs activités criminelles.
 » Or c’est
précisément pour empêcher les migrants
d’échapper à l’enfer libyen que la France a
livré aux garde­-côtes libyens six embarcations
rapides pouvant être équipées de
mitrailleuses, alors même que la collusion de
ces garde-­côtes avec les groupes mafieux
dénoncés par Le Drian est connue de tous.
Ce nouveau pas dans l’externalisation du
contrôle migratoire a été attaqué en justice
par huit ONG qui dénonçaient «  la
complicité pour violation du droit
international
 », compte-­tenu des traitements
inhumains dont sont victimes les migrants, et
« le transfert de matériel militaire à la
Libye
 » sous embargo. Le 10 mai, le tribunal
administratif de Paris s’est déclaré
« incompétent ». Reconnaissons-­lui sur ce
point le mérite d’être plus lucide que notre
ministre…

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 286 - mai 2019
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