Survie

Information non établie

rédigé le 20 mai 2019 (mis en ligne le 13 octobre 2019) - Thomas Noirot

Dans une longue interview au Parisien (11/05), Jean-Yves Le Drian confiait une crainte : « les grands principes et piliers de la vie internationale sont en train de voler en éclats. Les institutions, les traités, la parole donnée et le respect des frontières ne sont plus respectés. » Nouveau cas, quasi pathologique à ce stade, d’indignation sélective. Des journalistes de Disclose et de Radio France ont révélé mi-avril une note prouvant que l’exécutif est au courant de l’utilisation d’armes françaises au Yémen (un scoop qui a valu à leurs auteurs une convocation par la DGSI, les services de renseignement), mais cela doit sans doute respecter « les grands principes » du ministre des Affaires étrangères : « Je n’ai pas d’informations établies sur le fait que des armes vendues à l’Arabie saoudite ou aux Emirats arabes unis auraient été utilisées délibérément contre des civils dans ce conflit. » Chaque mot compte : il peut avoir l’information mais elle n’est pas établie, ou alors ces armes ont pu être utilisées contre des civils à l’insu des belligérants ?… Ce politicien breton qu’on surnomme "le menhir" se prend même pour Saint Thomas quand il est interrogé sur le cargo saoudien qui devait prendre livraison de huit canons Caesar au Havre début mai : « C’est vous qui en parlez. Je n’ai pas cette information. (…) Je n’ai pas mis le nez dans ce cargo. Il y a des accords avec l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis depuis plusieurs années, des relais d’équipement qui se poursuivent dans ce cadre, mais nous agissons en conformité avec le TCA. » Le Traité sur le commerce des armes imposerait en effet de suspendre les livraisons (notamment de matériels dont la vente a été signée quand Le Drian était le ministre VRP de l’industrie de l’armement)… si la France avait des informations établies sur un usage délibéré contre des civils, en somme. Pas de chance, vraiment, pour les Yéménites.

Au Cameroun, le régime Biya fait la guerre à sa propre population, dans les régions anglophones. Mais le Quai d’Orsay l’assure depuis des mois : la coopération militaire française avec le Cameroun est dédiée à la « lutte contre le terrorisme » et se tient bien éloignée de cette autre guerre. Début mai, l’ONG International Crisis Group signalait pourtant, dans une trop discrète note de bas de page de son rapport sur la crise anglophone, que les militaires français qui ont formé au Gabon entre 2015 et 2018 des forces spéciales camerounaises, « auraient protesté en privé contre leur déploiement temporaire dans les régions anglophones », l’année dernière. Une information sans doute insuffisamment établie pour le ministre des Affaires étrangères, qui avait balayé en février la question d’un député sur la coopération militaire avec ce pays en guerre.
L’ancien ministre de la Défense et « ministre de l’Afrique » de François Hollande l’avait épaulé dans ses choix militaires au Mali et ainsi soutenu l’option française d’un retour à la paix par les armes, en refusant toute négociation avec des belligérants qualifiés de « terroristes » et en construisant des alliances avec d’autres groupes armés. Devenu ministre des Affaires étrangères de Macron, il n’a pas hésité à applaudir cette politique, en déclarant en septembre dernier : « Le Mali est en train de renaître, maintenant il faut être au rendez-vous » (AFP, 23/09/18). En creux, cela revient à dire que les Maliens auraient dû se motiver à être davantage « au rendez-vous » de cette renaissance, puisqu’ils subissent une recrudescence d’attaques. La France, évidemment, n’a rien à se reprocher : elle cherche juste à faire appliquer un traité de paix, l’accord d’Alger, qui impose de modifier les institutions et est accusé de dresser de nouvelles frontières intérieures au Mali, en contradiction avec la parole donnée en 2013. Mais cette information n’est pas établie.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 286 - mai 2019
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