Survie

Manière d’écrire

rédigé le 20 mai 2019 (mis en ligne le 27 mars 2020) - Odile Tobner

La présentation du numéro 165, juin-juillet 2019, "France-Afrique, domination et émancipations", de Manière de voir, publication hors-série du Monde Diplo, s’ouvre sur deux phrases notables : « Rien ne va plus dans les relations entre la France et l’Afrique. Mais qui pour remplacer un "gendarme" si utile au Sahel ? »

Chaque élément sémantique de cette séquence verbale ouvre d’étonnantes perspectives au commentaire.

Prenons-les du plus anodin au plus inquiétant. Le constat initial se veut neutre mais il renvoie dos à dos deux termes inégaux à tous points de vue : « rien ne va plus entre la France et l’Afrique », sophisme qui gomme la réalité des faits de méfiance ou d’hostilité relevés en Afrique contre la France. « L’Afrique ne veut plus de la France » aurait été une entrée plus lucide et plus pertinente.

Ensuite pourquoi mettre « gendarme » entre guillemets, suggérant que ce n’est qu’une façon de parler – exagération ou ironie -, alors que la réalité matérielle de la présence française en Afrique est d’abord dans l’appareil militaire, uniformes, engins de guerre, bases. La présence massive de l’armée française, bien au-delà de toute autre présence militaire étrangère au continent, mérite qu’on fasse l’économie de ces guillemets d’une pudicité obscène.

L’affirmation que la France est « si utile » à l’Afrique est une véritable provocation. On n’a pas fait mieux depuis les « bienfaits » (entre guillemets, c’est par antiphrase) de la colonisation. Comment une telle assertion peut-elle être écrite après nombre d’ouvrages sérieux décrivant l’échec et la malfaisance des interventions françaises au Sahel. Depuis l’opération Bison en 1969 au Tchad en passant par Tacaud,1978, Manta, 1983, Épervier, 1986-2014, jusqu’à Serval, 2013 et Barkhane 2014, les opérations prétendument salvatrices ont été au mieux totalement inutiles, puisqu’elles n’ont rien résolu, au pire tout à fait nuisibles.

Enfin on a le point ultime de l’aberration avec la question sortie des tréfonds de l’âme impérialiste : « Mais qui pour remplacer ? ». C’est le mantra habituel, mille fois ressassé dans les milieux politiciens français qui causent à tort et à travers de l’Afrique. Oui X est un dictateur sanguinaire, mais qui mettre à sa place ? Oui Y est corrompu mais il n’y a personne pour le remplacer. Objectivement une telle phrase suppose la France comme maîtresse du destin des pays africains. C’est de la mégalomanie. Objectivement aussi cette expression signifie que les Africains sont absolument incapables de décider de leur destin. Il leur faut un maître. Pour appeler un chat un chat, c’est du racisme primaire. Subjectivement et inconsciemment c’est évidemment la grande peur française d’être privée de la poule aux œufs d’or africaine qui s’exprime ainsi.

Quelle que soit la plume qui a rédigé ces phrases on constate que, s’agissant de l’Afrique, on peut vraiment écrire des énormités sans crainte du ridicule.

Par ailleurs dans l’éditorial du dossier, qui suit cette introduction contestable, Anne-Cécile Robert relaie pieusement le plus increvable bobard lancé par les autorités françaises concernant Serval : « la France demeure la seule puissance capable de réagir militairement en quelques heures à une attaque djihadiste d’envergure telle que celle qui menaça Bamako en 2013. Signe d’une proximité assumée, l’appel au secours du président malien Dioncounda Traoré fut rédigé en liaison avec le Quai d’Orsay ». Rappelons que « l’attaque djihadiste d’envergure » consistait en un raid d’une dizaine de pick-up qui visait l’aéroport de Sévaré situé à 800 km de Bamako. Ce raid fut stoppé avant même le déclenchement de Serval, auquel il servit seulement d’alibi. La menace sur Bamako ne fut qu’un slogan de propagande à usage des médias chez qui il fit florès. Rappelons aussi que « l’appel au secours du présidente malien » fut rédigé non « en liaison avec le Quai d’Orsay », ce qui, en fait de « proximité assumée », est déjà l’aveu d’une atteinte à la souveraineté du Mali, mais sous la dictée du Quai d’Orsay lui-même.

Il se peut, il est même certain, que les articles réunis dans ce dossier ne sont pas tous de la même farine, cela prouve seulement que, sur l’Afrique, les positions les plus incompatibles peuvent être brassées dans la même marmite. C’est de nature à obscurcir plus qu’à éclairer le sujet.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 286 - mai 2019
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