Survie

Sinistre tambouille politico-judiciaire

rédigé le 20 mai 2019 (mis en ligne le 27 mars 2020) - Jean-Loup Schaal

L’opposant djiboutien Mohamed Kadamy a été mis en examen par un juge français à la demande des autorités judiciaires djiboutiennes, dont il est tributaire pour une autre enquête. Un déni du devoir de protection des réfugiés politiques sur fond de suspicion d’arrangement ou de pression franco-djiboutien.

Le 21 janvier 2019, l’opposant djiboutien Mohamed Kadamy, réfugié en France, a été entendu, en « audition libre », à l’office central d’investigation de Nanterre par la juge Sabrina Elie. Il a dû s’expliquer sur des faits qui se sont produits le 30 septembre 2015 à Marwalleh (région de Tadjourah, à Djibouti) et dont il ne porte aucune responsabilité. Ce jour-là, des militants du front de résistance qu’il préside, le FRUD, ont arrêté et fouillé trois véhicules appartenant à une société égyptienne. Découvrant qu’ils ont été réquisitionnés par l’armée djiboutienne pour transporter secrètement des armes, ils font descendre les passagers et incendient les véhicules. Kadamy n’avait à l’époque signé un communiqué que pour rétablir la vérité et contrer la désinformation propagée par la dictature, qui affirmait que les véhicules étaient des ambulances.

Malgré ses explications, le 13 février, il a été convoqué par Serge Tournaire, le Vice-Président de l’instruction au Pôle financier (théoriquement en charge de l’instruction des affaires financières les plus complexes) qui l’a mis aussitôt en examen sur la base d’une commission rogatoire émise par la juge djiboutienne Lamisse Mohamed Saïd. Curieusement le surlendemain, Serge Tournaire a eu l’autorisation de s’envoler pour Djibouti pour interroger, dans le cadre d’une commission rogatoire qu’il avait émise, le témoin Wahib Nacer, ancien banquier en Suisse, réfugié à Djibouti (dont il est originaire), qui est soupçonné d’avoir joué un rôle dans l’affaire du financement libyen de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy.

La mise en examen de Mohamed Kadamy, qui n’avait pas été demandée dans la commission rogatoire dont nous nous sommes procurés une copie, stipule : « complicité par instigation de crimes d’atteinte à l’intégrité des personnes, de séquestration, de détournement de moyen de transport, d’extorsion et de destruction par l’effet d’un incendie de biens publics et privés, entreprise dont le but était de troubler gravement l’ordre public par le terreur, commis le 30 septembre 2015 à Marawleh ».

Dès l’information connue, un comité de soutien s’est créé et il compte plus de 1.100 adhérents aujourd’hui. Des manifestations ont été organisées à Bruxelles, à Bagnolet et à Montreuil. La municipalité de Bagnolet a accordé sa protection citoyenne à Mohamed Kadamy le 21 mars. La veille, une conférence de presse dans les locaux de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), avec la participation de la FIDH a permis à Mohamed Kadamy et à son conseil Me Bérenger Tourné d’expliquer la situation et de signaler qu’une demande de nullité de la mise en examen pour vice de procédure avait été déposée le 18 février, mais la Chambre d’instruction n’a pas encore statué à ce jour.

Cette affaire soulève deux questions importantes.

1. L’indépendance et l’intégrité d’un juge français

Outre le fait que ce soit un magistrat en charge des affaires financières qui se saisisse du dossier, il est surprenant qu’il ait obtenu un avis favorable à sa propre commission rogatoire internationale, les autorités judiciaires djiboutiennes étant d’ordinaire bien peu enclines à coopérer (à l’exception de cas « consensuel » comme les poursuites contre des auteurs d’attentats à Paris en 2015). De quoi alimenter des suspicions de « deal » entre appareils judiciaires… ou en tout cas de renvoi d’ascenseur entre le juge français et le régime djiboutien. A moins qu’il ne s’agisse d’un coup de billard à plusieurs bandes, ces rebondissements judiciaires intervenant au moment où Emmanuel Macron s’est rendu à Djibouti (11 mars), pour y défendre l’influence française.

2. Déni du devoir de protection d’un réfugié

Aux termes de la convention d’assistance judiciaire franco-djiboutienne, la justice française aurait pu refuser d’instruire cette commission rogatoire dont l’origine politique ne fait guère de doute. Bien au contraire, et probablement en violation de la convention de Genève de 1951, elle ne protège pas un réfugié et même elle prête assistance à l’une de pires dictatures de la planète en le poursuivant.

La justice française au-service des dictateurs ?

Cette affaire exemplaire pourrait faire jurisprudence. Tous les réfugiés politiques en France seraient désormais « en sursis » toujours sous la menace du pays qu’ils ont dû fuir parce que les chefs d’Etat ont trouvé le moyen d’instrumentaliser la justice française au profit de leurs objectifs : éliminer toute forme d’opposition.

Jean-Loup Schaal, Président de l’ARDHD

Juge cruelle

Madame Lamisse Mohamed Saïd est bien connue à la fois pour son allégeance totale à la dictature et aussi pour son acharnement envers les opposants, acharnement pouvant aller jusqu’à la mort, sous la torture et par manque de soins. Ainsi, Mohamed Ahmed dit Jabha est mort à Gabode le 2 août 2018, privé des soins nécessaires en raison de son état de santé. Il avait été arrêté le 1er mai 2010. Torturé et maintenu en captivité sans jugement, la Chambre d’accusation avait annulé l’ensemble de la procédure et prononcé sa libération. Pourtant, répondant aux désirs du Premier ministre, la juge Lamisse Mohamed l’avait fait maintenir en détention.

Faits dénoncés sur le site de l’ARDHD http://www.ardhd.org/?s=Lamisse

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 286 - mai 2019
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