Survie

Fin de partie pour Orano au Niger ?

rédigé le 1er août 2019 (mis en ligne le 2 avril 2020) - Raphaël Granvaud

Orano (ex-Areva) a confirmé la fermeture prochaine d’une de ses mines bientôt épuisée. Si l’uranium s’est envolé, les catastrophes liées à son exploitation restent bien présentes.

C’est le ministre des Mines, Hassane Barazé, qui l’a annoncé aux parlementaires nigériens le 11 mai dernier : « la situation de la Cominak est très préoccupante, elle pourrait à terme fermer. (…) Les réserves [d’ uranium] s’épuisent et sont très chères à exploiter, surtout dans des conditions de prix très bas ». Orano a ensuite confirmé se préparer à « organiser de façon responsable » une « forme de décroissance » (usinenouvelle.com, 14/05) sans révéler la date de fermeture (2021 selon Mediapart, 09/06). L’entreprise, dont l’État nigérien est actionnaire minoritaire, a accusé des pertes de 24,3 millions d’euros en 2017 et 25,9 millions en 2018. Sa rentabilité dépend notamment du prix d’enlèvement de l’uranium (c’est-à-dire le prix qu’Areva/Orano paye à ses filiales nigériennes). Le ministre invoque la faiblesse des cours de l’uranium sur le marché à court terme (prix spot). Argument à relativiser puisque la convention d’Areva relève du marché à long terme, protégé des fluctuations, et dont le cours est normalement plus élevé (sans compter la valeur stratégique qu’a eu l’uranium nigérien pour la France depuis des décennies...). La raréfaction du minerai est réelle en revanche : exploitées depuis 1978, les réserves étaient estimées à 7 000 tonnes en 2017, soit moins de 5 années de production. La situation de l’autre mine d’Arlit, exploitée par la Somaïr, est moins critique mais, avec 9 000 tonnes de réserve, ses jours sont également comptés.

Naufrage social

Interrogé par Mediapart, Orano s’est engagé « à accompagner la transition sociétale en vue de minimiser l’impact social » lié à la fermeture de la Cominak et dit réfléchir à un plan d’actions « en vue d’assurer la remise en état sûre et saine de la mine ». Habituels propos rassurants que viennent contredire toutes les pratiques du groupe en Afrique... Ces dernières années, Areva a déjà procédé à plusieurs milliers de licenciements, soit directement soit via ses sous-traitants, du fait des plans de restructuration des mines existantes, ainsi que de l’abandon du projet de mine d’Imouraren (au nord du Niger). Un précédent éclairant existe aussi au Gabon : après la fermeture de la mine de Mounana en 1999, aucune décontamination sérieuse du site n’avait été menée. Quant aux salariés et aux habitants, ils avaient été complètement abandonnés et la ville minière était devenue une ville fantôme du jour au lendemain. Qu’en sera-t-il des 150 000 habitants de la ville d’Arlit, entièrement dépendante de l’exploitation de l’uranium en plein désert ?

Désastre environnemental et sanitaire

Les inquiétudes sont d’autant plus fortes qu’à ce jour l’entreprise française refuse toujours de reconnaître sa responsabilité pour la catastrophe écologique et sanitaire qu’elle a occasionnée et qui est depuis longtemps documentée par les ONG. Comme c’était prévisible, les « observatoires de la santé » créés il y a 10 ans pour répondre à des menaces de poursuites judiciaires, et dont les médecins sont salariés par les filiales d’Orano, se sont révélés une supercherie qui continue de dissimuler les maladies radio-induites dont souffrent et meurent les mineurs. Toute la population reste par ailleurs exposée à une pollution radioactive et chimique omniprésente : déchets miniers réutilisés par les habitants, contamination de l’air (radon), des sols et de l’eau, la nappe phréatique fossile ayant par ailleurs été vidée aux deux tiers.

Résistance

Les organisations de la société civile d’Arlit ont regretté la collusion de l’État nigérien qui se contente de répercuter l’argumentation d’Orano. Dans une déclaration rendue publique le 18 mai, elles ont dénoncé « la plus grande arnaque et le plus grand chantage » subis par le Niger « depuis un demi-siècle » et demandent notamment « la nationalisation de la société Cominak ou sa reprise par d’autres partenaires », l’ouverture d’une enquête parlementaire sur la fermeture de la Cominak et d’une enquête scientifique sur les dégâts écologiques et sanitaires afin d’ « envisager l’engagement d’une procédure judiciaire contre ORANO et sa filiale Cominak ». Rappelons qu’Orano demeure une entreprise à capitaux publics, donc propriété de l’État français, et qu’à ce titre, les revendications des Nigériens interpellent directement tous les citoyens français.

Ne dites plus Areva

À la suite d’une situation de faillite qui a obligé L’État français à réinjecter 5 milliards d’euros, le groupe Areva a été démantelé. La partie « construction de centrales nucléaires » (anciennement Framatome) a été avalée par EDF. Quant à la partie « combustible » (anciennement COGEMA), elle a été rebaptisée Orano en janvier 2018. Un changement de nom pour un changement d’image ? Il s’agissait visiblement de faire oublier les déboires de la construction des réacteurs EPR mais aussi et peut-être surtout les malversations de l’affaire Uramin (voir les différents articles publiés dans Billets d’Afrique depuis 2012 et disponibles sur le site de Survie) pour laquelle l’ancienne dirigeante Anne Lauvergeon est aujourd’hui mise en examen ainsi que quelques autres anciens dirigeants de l’entreprise. L’indépendance et le courage de la justice française étant ce qu’ils sont concernant les affaires françafricaines, il y a malheureusement peu d’espoir de voir un jour dévoilées et jugées toutes les ramifications de ce scandale d’État…

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 288 - juillet aout 2019
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