La découverte de quatre missiles antichars vient confirmer le soutien français à la tentative de coup d’Etat du maréchal Haftar.
Tandis que son offensive contre Tripoli piétine, faute d’avoir réussi à retourner certaines milices, Haftar vient de subir une défaite importante en perdant la ville stratégique de Gheryan. Les troupes fidèles à Fayez al- Sarraj ont notamment bénéficié de l’aide militaire de la Turquie, en violation de l’embargo international sur les armes qui frappe le pays. Un embargo qui n’est pas non plus respecté par les parrains du maréchal Haftar : en témoigne une récente découverte embarrassante pour la diplomatie française, mais guère surprenante... En fuyant précipitamment la ville de Gharian, les milices d’Haftar ont laissé sur place un stock d’armes parmi lesquelles se trouvaient quatre missiles antichars Javelin de fabrication américaine. Les autorités libyennes ont d’abord accusé les Émirats arabes unis, mais une enquête du département d’État américain a fuité dans le New York Times (09/07), révélant que les missiles, d’un coût de 170 000 dollars l’unité, faisaient en réalité partie d’un lot acquis par la France en 2010
Les missiles « appartiennent effectivement aux armées françaises, qui les avaient achetés aux Etats-Unis », a alors reconnu le ministère des Armées (AFP, 10/07). Mais ce dernier se défend d’avoir violé l’embargo sur les armes ou d’avoir apporté un quelconque soutien à Haftar. Le tout assorti d’explications qui ne semblent avoir convaincu personne. Selon le ministère, ces armes étaient destinées à « l’autoprotection d’un détachement français déployé à des fins de renseignement en matière de contre-terrorisme ». Par ailleurs, elles seraient « endommagées et hors d’usage » et auraient été « temporairement stockées dans un dépôt en vue de leur destruction ». Enfin, « il n’a jamais été question ni de vendre, ni de céder, ni de prêter ou de transférer ces munitions à quiconque en Libye ». « Interrogée par les députés, la ministre s’est très vite réfugiée derrière le "secret-défense" pour ne pas répondre aux questions », rapporte Mediapart (10/07). « A l’écouter, c’est limite si nous ne lui posions pas des questions stupides, renchérit le député communiste André Chassaigne qui a le premier interrogé la ministre sur ces missiles français en Libye. Elle nous a répété la version de son ministère sans apporter aucune précision à nos questions et notamment celle-ci : que font des officiers du renseignement français avec des missiles anti-char sur la ligne de front ? ».
Les réponses lapidaires auxquelles s’accroche le ministère soulèvent en effet davantage de questions qu’elles ne fournissent d’éclaircissements. Si les missiles étaient hors d’usage, comment pouvaient-ils servir à la protection d’un détachement français ? Pourquoi étaient-ils entreposés dans l’arsenal militaire du maréchal Haftar ? Alors que la France dément soutenir l’offensive de ce dernier, comment expliquer la présence d’agents français à Gharian, que l’ambassade de France avait démenti sur Twitter quelques jours plus tôt ? La guerre contre le terrorisme a bon dos… Selon Mediapart, la France « violerait également l’accord commercial passé avec les États-Unis et qui interdit formellement la réexportation ou revente ou dissémination de ce type de missiles ». Quant à Washington, elle « s’inquiète aussi d’une possible main basse de l’organisation État islamique sur cet armement alors que l’organisation terroriste a relancé ses activités dans le sud du pays » (Rfi.fr, 10/07).
Pas de chance : le ministre de l’Intérieur libyen, Fathi Bachagha, venait d’annoncer une reprise de la coopération sécuritaire, rompue deux mois plus tôt (cf. Billets n°287, mai 2019) faisant mine de considérer que la France « aurait changé sa position en ce qui concerne son soutien à Khalifa Haftar pour se rapprocher du GNA [Government of National Accord, reconnu par l’ONU]. » La France s’était engagée « à contribuer à former des forces dans le domaine de la sécurité nationale, la police et la gendarmerie » ainsi qu’ « une unité de la garde présidentielle » (Rfi.fr, 27/06). Après l’identification des missiles, le ministre des affaires étrangères du GNA, Mohamad Tahar Siala, a demandé à Le Drian « d’expliquer de manière urgente le mécanisme par lequel les armes françaises découvertes à Gharian sont parvenues aux forces de Haftar » et de préciser « les quantités d’armes » qu’aurait fournies Paris au maréchal, et « dont l’existence contredit les déclarations du gouvernement français (…) de soutien au GNA, comme seul reconnu internationalement ». En réponse, c’est la ministre française des Armées qui s’est contentée de démentir ces accusations et de répéter les éléments de langage officiels. Les autorités françaises ne peuvent évidemment pas reconnaître une violation de l’embargo que la France est censée faire respecter en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, ou un soutien à la tentative de putsch du maréchal Haftar et à une offensive qui a déjà provoqué plus de 1000 morts et 5500 blessés. Pour le chercheur Jalel Harchaoui, interrogé par Mediapart, l’explication est pourtant simple : « nous avons désormais (...) une preuve indéniable de ce que l’on sait tous : la France mène une guerre secrète en Libye. Elle soutient Haftar même militairement. Elle souhaite que son poulain Haftar gagne, car elle est pour une dictature en Libye, elle voit en lui ce qu’elle aime en Égypte, un autoritarisme rigide sans aucune liberté individuelle ». Rien de très neuf, donc…
Selon les confidences de « plusieurs diplomates et officiers » recueillies par Le Canard enchaîné (17/07), il y aurait encore aujourd’hui, « conformément à la volonté élyséenne », pas moins d’« une centaine » d’agents de la DGSE (direction générale de la Sécurité extérieure, service de renseignement connu pour ses coups tordus et son service Action) à « coopérer » avec l’armée du Maréchal Haftar. Si ces informations sont exactes, il est clair que l’assaut sur Tripoli est une co-production franco-libyenne...