Survie

Le bons sens français de la répression pré-électorale

rédigé le 1er août 2019 (mis en ligne le 3 novembre 2019) - Roland Petit, Thomas Borrel

Tous les voyants sont au rouge en Guinée. La France le sait mais continue de célébrer la consolidation de liens militaires avec le pouvoir en pleine dérive autoritaire d’Alpha Condé, qui veut changer la Constitution. Il en faudrait plus pour faire reculer notre diplomatie, qui vient de célébrer la reprise de la coopération militaire avec le Burundi, en dépit du climat de terreur qui y prévaut toujours.

En 2015, sous François Hollande, la diplomatie française avait pris deux décisions qui trouvent ces dernières semaines un écho particulier. La France avait alors apporté un soutien, par la voix du président de la République lui-même, au tripatouillage de la Constitution au Congo-Brazzaville, en renouvelant même la coopération militaire avec le régime juste avant la vague de répression féroce (cf. Billets n°251, octobre 2015). Mais, presque au même moment, elle s’était résolue à suspendre sa coopération militaire avec le Burundi, qui s’enfonçait dans une crise et un cycle de violences d’État du fait de la volonté du président Nkunrunziza de modifier lui aussi la Constitution. Soutien réaffirmé au Congo, où la répression est passée sous les radars médiatiques, suspension au Burundi, dont la crise défiait la chronique, à chaque fois en lien avec le désir du despote local de se cramponner à son fauteuil.

« Sur la Guinée, oui je sais »

Début 2018, en Guinée, plusieurs personnes ont été tuées dans la répression des manifestations de l’opposition, qui contestait les résultats des élections locales. Puis, à partir de juillet 2018, le pouvoir a interdit toute manifestation, sous prétexte sécuritaire. Bon timing pour célébrer les liens militaires entre la France et ce régime en train de se verrouiller : le 1er août 2018, l’attaché de Défense de l’ambassade de France a été ainsi élevé au grade d’officier de l’ordre national du mérite guinéen, par le ministre d’État en charge des Affaires présidentielles et de la Défense Nationale, qui s’est félicité que « le Colonel Roland Briane a raffermi la coopération militaire » entre les deux pays (gn.ambafrance.org, 8/08/18). Depuis, Alpha Condé, ancien opposant historique devenu enfin président de Guinée en 2010 et « réélu » au terme d’un scrutin contesté en 2015, a depuis des mois entretenu le flou sur son intention de modifier la Constitution pour faire sauter la limitation de deux mandats présidentiels – donc pour se cramponner à son tour à son fauteuil. La société civile et l’opposition guinéennes s’organisent : un front national pour la défense de la Constitution s’est créé et essuie les foudres du régime (arrestations et intimidation de leaders mi-juillet, confiscation de matériel militant), en parallèle d’un durcissement législatif concernant les associations et de l’éviction des voix critiques dans les organes de consultation de la société civile. Cas d’école : c’est le premier projet de tripatouillage constitutionnel chez un allié françafricain depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Son ministre des Affaires étrangères, l’ancien « hollandais » Jean-Yves Le Drian, interrogé par un député le 28 mai, s’est fait simple observateur : « Sur la Guinée, oui je sais. Mais je suis en séance publique, donc je ne peux que constater comme vous une situation qui peut être préoccupante » (RFI, 29/05). Le 27 juin, la présidence guinéenne a enfin fait l’annonce officielle : « Le président de la République a pris acte de la volonté librement exprimée par la totalité des membres du gouvernement de s’inscrire résolument dans la dynamique du référendum pour une nouvelle Constitution. »

Votez « stabilité »

La diplomatie française n’a pas pour autant exprimé davantage d’inquiétude. Le 14 juillet, l’ambassadeur de France à Conakry a appelé à « un débat politique ouvert, inclusif et pacifique ainsi qu’un processus électoral libre, honnête, démocratique et transparent, garantissant la crédibilité des scrutins », puis ajouté que « quel que soit le choix du peuple guinéen lors des prochaines consultations », il faudra « poursuivre les réformes » et garantir « la stabilité ». En realpolitik, la stabilité reste le cache-sexe des pires dictatures françafricaines et la précision « quel que soit le choix du peuple » en parlant de « consultations » n’est évidemment pas neutre : elle laisse la porte ouverte à Alpha Condé, à l’instar d’un François Hollande déclarant en 2015 que « Denis Sassou Nguesso peut consulter son peuple, ça fait partie de son droit et le peuple doit répondre ». Ayant traversé près d’un demi-siècle de dictature (avec Sékou Touré puis Lansana Conté), le peuple guinéen risque de vouloir s’exprimer dans la rue, malgré la répression. La France, maintiendra-t-elle sur place ses 11 coopérants militaires permanents [1] (en plus de programmes ponctuels de formation), « insérés dans les forces armées guinéennes, portant le même uniforme, symbole de la fraternité entre les institutions » comme l’explique l’ambassade sur son site internet ? D’expérience, on peut répondre que oui : au Togo, au Tchad, au Gabon, au Congo, etc., malgré la répression, les coopérants militaires français restent.

Au Burundi, la crise s’aggrave…

La seule exception publique, c’était le Burundi : la France avait fait savoir début 2016 qu’elle avait suspendu sa coopération militaire en 2015, quand le pays plongeait dans une grave crise interne liée aux velléités du président Nkurunziza d’imposer une nouvelle Constitution. Depuis, celle adoptée en 2018 lui permet de se représenter, mais le despote illuminé a fait savoir dans la foulée qu’il ne comptait pas être candidat à sa propre succession. Nouvelle extravagance de Nkurunziza ? Pas forcément, puisque les termes de cette nouvelle Constitution lui permettent aussi de restaurer une monarchie, ce dont le suspectent de plus en plus opposants et observateurs : son discours lors de la Fête nationale le 1er juillet et les annonces de changements de noms de différents édifices publics et boulevards de la capitale « sont compris comme une volonté de Pierre Nkurunziza d’effacer les trois républiques et célébrer une fois de plus la monarchie. En mai dernier, il avait ordonné de remplacer la devise nationale "Unité, travail, progrès" sur les monuments nationaux, par la devise royale, "Dieu, le Roi et le Burundi" » (La Libre Belgique, 3/07). Le climat de terreur est toujours le même au Burundi et l’Union européenne vient de décider de renouveler ses sanctions, dont la suspension de la coopération de développement du fait des graves violations des droits humains.

… sauf vue depuis Paris

Mais côté français, tout baigne, comme l’a expliqué l’ambassadeur de France au Burundi le 14 juillet : « L’année écoulée a également été celle de la reprise de notre relation bilatérale. La France a tendu la main aux autorités burundaises et la visite du Ministre des Affaires étrangères Ezéchiel Nigibira à Paris, fin octobre 2018, a débouché sur la reprise progressive d’une coopération dans le domaine de la défense ». Outre cette reprise de la coopération militaire alors que la situation est toujours aussi grave, le diplomate a salué « la reprise de notre dialogue politique [qui] pourra s’épanouir pleinement une fois passées les échéances électorales à venir ». Selon lui, Emmanuel Macron a d’ailleurs écrit à Pierre Nkurunziza quelques jours plus tôt que « la France sera à vos côtés lors de cette échéance majeure, qui sera une occasion de renforcer votre dialogue avec l’opposition et l’ensemble des forces vives de la société burundaise. Votre décision de ne pas vous représenter à un nouveau mandat en 2020, ainsi que l’agrément donné au Congrès National pour la Liberté sont autant de mesures fortes qui témoignent de votre engagement à ce sens. (…) Je reste en effet convaincu que la tenue d’élections libres et transparentes sera l’occasion de tirer un trait définitif sur la crise politique ouverte en 2015 ». Cette dernière phrase, prise hors contexte, pourrait satisfaire quelque vision généreuse (mais naïve) de la politique étrangère tricolore. Mais là encore l’expérience françafricaine offre une lecture plus précise : que Nkurunziza reste ou non au pouvoir, et surtout que la terreur se prolonge ou non, il faut juste à la diplomatie française un simulacre d’élections sur lequel s’appuyer pour resserrer des liens, quitte à fragiliser les positions européennes.

Dialogue de sourds

En off, des diplomates français ne se gênaient pas pour critiquer la rupture du « dialogue » et la suspension de la coopération militaire avec le Burundi : l’aggravation de la situation depuis 2015 montrait, selon eux, que ce type de sanction diplomatique n’avait aucun intérêt, prétendant ainsi justifier par exemple le maintien de la coopération militaire avec un régime camerounais en guerre contre sa population anglophone. Un raisonnement qui oublie que depuis bientôt trois décennies que la France prétend privilégier le dialogue avec les différentes dictatures du continent pour « passer des messages », la situation ne s’y est pas plus améliorée : bien au contraire, les régimes en place comme leur opposition ont eu la garantie que Paris ne lâcherait pas ses alliés, contribuant à figer ces régimes modèles de « stabilité ». Dans les choix diplomatiques vis à vis de la Guinée et du Burundi, Emmanuel Macron et ses ministres n’innovent pas, une fois de plus.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 288 - juillet aout 2019
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