S’il ne fallait retenir qu’un seul mot d’ordre du
Hirak, le mouvement populaire algérien en
cours depuis 28 vendredi, ce serait sûrement
Yetnahaw ga3 !, « Qu’ils dégagent tous ! », tant il résume la simplicité, la combativité et l’exigence de
cette révolution. Tant que tous n’auront pas dégagés,
le mouvement se poursuivra. Un point c’est tout.
C’est
autrement plus politique et combatif que ce que la
plupart des médias ont présenté en relayant principa
lement le mot d’ordre Silmiya, « pacifique », et l’idée
selon laquelle cette révolution serait inédite en Algérie de par son pacifisme.
L’histoire de l’Algérie est marquée par les luttes
de son peuple pour la dignité et la liberté, que ce soit
avant, pour, ou après l’indépen
dance, et la révolution actuelle
n’en est qu’une nouvelle dé
monstration, renforcée et ampli
fiée par des décennies de
répression et une interdiction de
manifester en vigueur depuis
2001. Le cinéma documentaire
algérien, à l’honneur lors du
42e festival de Douarnenez,
montre ainsi très bien cette continuité des mouve
ments populaires, malgré la répression qui s’est abat
tue systématiquement sur eux et malgré la décennie
noire des années 1990. Depuis la guerre de libération
nationale, les Algérien.ne.s se sont mobilisé.e.s à de
nombreuses reprises : le printemps berbère en 1980,
les soulèvements d’octobre 1988, le printemps noir
de 2001, ont particulièrement marqué l’histoire popu
laire jusqu’à aujourd’hui encore. En 2011, alors que
l’Algérie était présentée par les médias comme étant
passée à côté des « printemps arabes », de très nom
breuses manifestations, émeutes, grèves, ont eu lieu
dans tout le pays. Elles ont été tues, se sont heurtées à
un mur, mais elles ont bel et bien existé. Les très bons
documentaires Avant de franchir la ligne d’horizon
de Habiba Djahnine, sur octobre 1988 et la décennie
1990, et Fragments de rêve de Bahia Bencheikh-El-Fegoun sur l’année 2011, donnent à voir et écouter ces
mobilisations, tout aussi pacifiques.
Ainsi, ce que l’histoire des luttes précédentes
éclaire, c’est que le mouvement de 2019 en est le prolongement, et que s’il faut y chercher un caractère inédit, c’est plutôt dans l’absence (apparente) de
répression déployée par le pouvoir : c’est que la rue
ait été plus forte par son nombre et ait pu cette fois
s’imposer dans le rapport de force ; c’est que le régime militaire algérien ait été pris au dépourvu par ce
tsunami humain et ait été empêché de tirer à balles
réelles sur la foule, contrairement à toutes les répressions
précédentes (bien que d’autres
violences policières aient visé
les marches : gaz lacrymogène,
matraquage...). C’est assez rare
pour le faire remarquer, alors
qu’au Soudan, quelques se
maines auparavant, les forces de
l’ordre ouvraient le feu sur les
manifestant.e.s, porteurs des mêmes aspirations que
les Algérien.ne.s. Depuis, les Soudanais.es sont eux
aussi parvenus à faire reculer le pouvoir en place, au
prix de centaines de morts. En Algérie, la répression a
réussi à se redéployer sous d’autres formes, notamment judiciaire, des dizaines de personnes ont été
mises en prison, et les manifestations sont de plus en
plus contrôlées. Preuve en est que lorsque la violence
revient sur le devant de la scène, elle ne vient pas de
la rue mais du pouvoir. Le régime n’a pas dit son dernier mot. Le Hirak non plus, tant qu’ils n’auront pas
tous dégagés.