Survie

Morts pour quoi ?

rédigé le 6 décembre 2019 (mis en ligne le 10 janvier 2020) - Pauline Tétillon

Treize soldats français sont morts le 25 novembre dans le cadre de l’opération Barkhane au Mali. Leurs noms vont s’ajouter à ceux déjà inscrits sur le monument aux morts en opération extérieure (OPEX) inauguré deux semaines plus tôt, 549 depuis l’opération Limousin au Tchad en 1969.
Dans les jours qui ont suivi, ce n’était que glorification de l’armée, apologie de la guerre contre le terrorisme, appel à l’union nationale – bien pratique dans un contexte intérieur de tensions sociales – et cris d’orfraie lorsque des voix, qui se font d’ailleurs de plus en plus entendre, remettent en cause la présence militaire française au Sahel. En témoignent les réactions offusquées suite au tweet de la CGT chômeurs du Morbihan « Toutes nos pensées aux familles de militaires morts pour le colonialisme au Mali », dont la direction de la CGT s’est d’ailleurs courageusement désolidarisée.
Mais pour quoi sont-ils morts ? « Ils sont morts en opération, pour la France, pour la protection des peuples du Sahel, pour la sécurité de leurs compatriotes et pour la liberté du monde, pour nous tous qui sommes là », a déclaré Emmanuel Macron lors de la cérémonie d’hommage aux Invalides.
Sauf que côté « protection des peuples », la situation sécuritaire au Sahel ne fait que se détériorer depuis l’intervention française en 2013, les violences se sont étendues, au Mali et dans les pays voisins. Les populations paient le plus lourd tribu de cette guerre : les victimes – y compris soldats et civils – ne se comptent pas par dizaines, mais par milliers, dans l’indifférence générale et sans hommages. L’action de l’armée française y est de plus en plus décriée, et la pression populaire monte pour un départ de l’armée française.
Et la « liberté » vantée par Macron ne semble pas peser lourd quand il s’agit de s’allier avec les dictateurs qui terrorisent les « peuples du Sahel » ou avec certains groupes armés comme au nord du Mali, puis d’empêcher des personnes qui fuient la guerre et la misère de gagner des régions moins hostiles.
Quant à la « sécurité » des Français, il semble illusoire de chercher à l’obtenir par une intervention qui ne fait qu’aggraver la situation sur place et alimente le ressentiment contre une armée considérée comme d’occupation.
Il ne reste qu’une raison : ils sont morts « pour la France ». Une France dont les dirigeants politiques et militaires s’obstinent à garder au moins une partie de la main-mise sur ses anciennes colonies, pour y préserver ses intérêts économiques et conserver son statut de puissance sur la scène internationale. Mais être morts pour, ne veut pas dire pour autant qu’ils n’en sont pas aussi des victimes. Derrière l’image du soldat héroïque se cache souvent une réalité moins glorieuse, celle décrite par Justine Brabant et Leila Miñano dans leur livre Mauvaises Troupes évoqué dans notre dernier numéro (de nombreuses recrues de l’armée, engagées par absence de perspectives plus que par réel choix, séduites un temps par l’illusion d’une aventure, mais mal préparées, en viennent parfois à commettre les pires horreurs, et en ressortent souvent brisées, traumatisées).
Quoi qu’il en soit, qu’ils se soient enrôlés par égarement, par aubaine ou même par conviction, leur engagement était imprégné voire aveuglé par un imaginaire colonial qui sous-tend et justifie toujours la politique néocoloniale française en Afrique. C’est aussi cette idéologie impérialiste d’un État et de son armée qui les a menés à cette issue tragique.
Le 11 novembre dernier, lors de l’inauguration du monument aux morts en OPEX, Macron disait de ces morts qu’ils « constituent une cohorte héroïque qui s’inscrit dans une longue histoire et plonge ses racines aux sources de la République ». Même morts, il servent malgré eux le récit national d’une histoire beaucoup trop longue de notre politique impérialiste, qui égrène ses victimes, parfois françaises mais le plus souvent des pays colonisés, depuis les sources coloniales de la Vème République.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 292 - décembre 2019
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