Le 22 février a eu lieu ce qui devait être une élection présidentielle au Togo, et qui a permis à Faure Gnassingbé d’être réélu officiellement pour un 4ème mandat. Alors que l’opposition, la société civile, l’Église, mais aussi les États-Unis ont critiqué le processus électoral, la France prend « note » de ce coup de force électoral sans émettre aucune critique, tout en continuant la coopération - notamment sécuritaire - avec ce régime répressif. La France soutient ainsi une nouvelle fois la légitimation de cette dictature au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle.
Les stratégies mises en place par le pouvoir afin de s’assurer une réélection ont commencé bien avant le jour du scrutin. En plus du changement de la constitution en mai 2019 qui a permis à Faure Gnassingbé de se représenter, et de nouvelles lois restreignant encore plus les libertés de la société civile (voir Billets d’Afrique, décembre 2019), le dictateur s’est assuré de la loyauté absolue de la Cour constitutionnelle chargée de valider l’élection de février. Le 23 décembre, il a fait modifier la loi organique portant sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour, sans respecter la procédure décrite dans la constitution togolaise qu’il avait pourtant lui même fait voter quelque mois auparavant. Cela lui a permis de faire élire ou de nommer 7 membres, bien que la Constitution en prévoit 9, 2 sièges n’ayant jamais été pourvus. Ces membres ont prêté serment devant lui à son palais le 30 décembre.
Toute la campagne électorale a été entachée d’irrégularités afin d’assurer au régime une réélection facile. Plusieurs meetings de l’opposition ont été bloqués par les forces de sécurité, l’égalité de l’accès aux médias n’a bien entendu pas été respectée, la subvention de l’État aux partis politiques afin de mener campagne, prévue par la loi, n’a pas été débloquée avant l’élection, etc. (Tournons la Page, 03/03/2020). La diaspora togolaise, quant à elle, pouvait officiellement voter pour la première fois à cette élection. Mais en fait, seules 312 personnes ont pu s’inscrire, sur les plus d’1,5 millions de Togolais vivant à l’étranger. En effet, il n’était possible de s’inscrire sur les listes électorales qu’entre le 15 juillet et le 20 août 2019, avec des cartes consulaires que l’ambassade du Togo en France par exemple ne fournissait plus depuis plus d’un an… Tout ceci alors que la loi permettant à la diaspora de voter date de novembre 2019, soit plusieurs mois après la fin des démarches nécessaires pour participer aux scrutins ! (Jeune Afrique, 12/02/2020)
Le scrutin s’est déroulé sans la présence d’observateurs indépendants provenant de la société civile ou encore de l’Église. La seule organisation indépendante (la Concertation nationale de la société civile du Togo) ayant reçu une accréditation a vu celle-ci révoquée trois jours avant le scrutin, et les experts de leur partenaire américain (le National Democratic Institute) venus les aider ont été refoulés du sol togolais et leurs ordinateurs saisis. Dès le lendemain du scrutin, et pour la première fois de manière aussi rapide, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) - qui n’a d’indépendante que son nom - annonçait que Faure Gnassingbé était réélu avec plus de 72 % des voix. On découvre dans ces résultats que le dictateur est plébiscité dans certaines régions, notamment du Nord et du Centre, avec des taux de participation de plus de 96 %, et des suffrages à plus de 95 % en sa faveur. Le record est atteint dans la préfecture de Mo, avec un vote en sa faveur de 99,46 %. (RFI, 24/02/2020)
Comme la société civile et l’opposition l’ont dénoncé, ces résultats proviennent de bourrages d’urnes, de la prise en compte de bureaux de votes fictifs ou encore d’achat de votes (contre signature de procuration), techniques que le régime et son parti politique le RPT-UNIR maîtrisent parfaitement. Les États-Unis, par la voix de leur ambassadeur, se sont joints aux critiques. C’est ainsi qu’ils ont appelé à la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote, ce qui permettrait d’« accroître la confiance de tous en les résultats finaux », une mesure réclamée à cor et à cri par la société civile et les candidats de l’opposition, et qui a clairement dérangé le pouvoir en place, comme en témoignent ses multiples réactions.
De leur côté, et malgré les chiffres totalement irréalistes dans certaines régions, les observateurs de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ainsi que de l’Union Africaine (UA) ont validé cette élection, décrédibilisant encore un peu plus, si cela est possible, les missions d’observation de ces organisations.
La Cour constitutionnelle a sans surprise confirmée la victoire du potentat en rejetant notamment le recours déposé par le principal challenger – et ancien Premier ministre - Agbéyomé Kodjo (FranceTvInfo, 04/03/2020). La délégation de l’Union européenne n’a communiqué que le 28 février et via son compte twitter… sur le fait qu’elle n’avait pas encore pris position.
Quant à l’Élysée, celui-ci « a pris note comme d’autres du score annoncé, qui vient d’être confirmé par la Cour constitutionnelle togolaise ». La présidence a aussi indiqué avoir échangé en amont du scrutin avec les autorités togolaises afin d’obtenir des « garanties » de transparence ( AFP, 5/03/2020 ). Peut-être que des dénonciations publiques de cette mascarade électorale seraient plus efficaces pour soutenir le choix des Togolais. De plus, un arrêt de la coopération sécuritaire avec ce régime répressif éviterait à la France de se rendre complice de ce passage en force, où les manifestants togolais qui réclament que leur vote soit respecté se font littéralement tabasser par les forces de l’ordre, ceci afin de stopper toute contestation.
Thomas Bart