Survie

Les nouveaux migrants

rédigé le 19 mars 2020 (mis en ligne le 31 mars 2020) - Mathieu Lopes

Il est difficile de ne pas évoquer le coronavirus COVID-19 en ce mois de mars 2020 en France. La maladie est encore peu connue mais si elle s’est déclenchée en Chine, elle frappe durement des pays européens. Les mesures de contrôle des corps qui y sont décidées rappellent celles mises en oeuvre pour lutter contre le virus Ebola il y a quelques années en Afrique de l’Ouest. On tremble, ici, que les systèmes de santé mis à mal par les politiques libérales ne soient pas capables d’encaisser le choc. Mais le coronavirus arrive aussi dans les colonies françaises, alors qu’il n’y a par exemple en Guyane qu’une dizaine de lits en réanimation et que le pays est en manque aigu de soignants. L’État français, déjà sourd aux mobilisations du monde hospitalier sur son sol pour plus de moyens, n’a toujours pas reconstruit le CHU de Pointe-à-Pître en Guadeloupe, touché par un incendie en 2017. La livraison du nouveau bâtiment est annoncée pour fin 2022. Début février 2020, la Chine, de son côté, a pu mettre en place un hôpital de 1000 lits pour soigner en urgence les malades du coronavirus en seulement 10 jours (au prix, certes, d’une surexploitation des ouvriers qui l’ont construit).

On oublie aussi de penser aux systèmes de santé dévastés ou tués dans l’oeuf par le pillage néo-colonial ou les plans d’ajustements structurels qui sont la règle en Afrique, Asie ou Amérique. Chaque année, le VIH et le paludisme tuent en masse dans ces « restes du monde ». D’après le dernier rapport sur le paludisme de l’Organisation mondiale de la santé, en 2018, 228 millions de personnes auraient été infectées dans le monde par cette maladie. Plus de 400 000 personnes en sont mortes. 94% de ces décès ont eu lieu en Afrique.

L’incapacité d’accéder à des soins adéquats dans leurs pays est une des raisons qui poussent des personnes à braver tous les dangers pour tenter d’être soignées chez nous. Il leur faudra survivre aux milices para-étatiques libyennes financées par l’Europe, aux moyens militaires déployés en Méditerranée et à la noyade. Ainsi, ce 2 mars, on pouvait voir sur les réseaux sociaux une vidéo montrant des garde-côtes grecs ouvrir le feu sur une embarcation de migrants pour les forcer à faire demi-tour. Et même si ces personnes réussissent à poser le pied de l’autre côté, si elles ne sont pas expulsées immédiatement, il leur faudra se lancer dans un nouveau parcours du combattant pour accéder à un logement minimal et à des droits. Fin 2019, c’est dans le journal d’extrême droite Valeurs Actuelles qu’Emmanuel Macron déclarait vouloir s’attaquer encore à l’Aide médicale d’État. En réalité, d’après Médecins du Monde, seuls 44% des personnes étrangères qui pourraient en bénéficier parviennent à y accéder. Et l’espoir d’un droit au séjour pour raison médicale est très souvent douché par un magistrat français, qui affirme dans le confort de sa chaise rembourrée que des pathologies graves peuvent très bien être soignées en Haïti ou au Cameroun.

Plusieurs pays africains ont dû expulser des touristes européens qui refusaient de se plier aux mesures de sécurité contre le COVID-19 et dans plusieurs pays, comme en Guinée, ce sont des Européens qui ont importé la maladie. Le 18 mars, plusieurs États africains annoncent fermer leurs frontières à ces derniers. On se prend à imaginer ce qui se passerait si les mêmes mesures répressives de l’Europe-forteresse étaient appliquées à des vagues de migrants européens tentant de fuir leurs pays contaminés.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 295 - mars 2020
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