Survie

Guinée - Elections militarisées

Le président guinéen Alpha Condé au Parlement européen le 29 mai 2018 (photo sous licence CC Parlement européen)
rédigé le 28 mars 2020 (mis en ligne le 6 mai 2020) - Emma Cailleau

Les résultats du double scrutin, législatif et constitutionnel, du dimanche 22 mars, maintenu coûte que coûte par le régime en place, lui ont donné sans surprise une écrasante victoire : 79 sièges sur 114 pour le Rassemblement du peuple de Guinée, le parti au pouvoir, et un "oui" à 91% pour la réforme constitutionnelle permettant à Alpha Condé de se présenter dans quelques mois à sa propre succession. Contestées par l’opposition et la société civile depuis des mois, ces élections se sont tenues sous le contrôle de l’armée guinéenne. La France a condamné la violence des forces de l’ordre, mais maintient sa coopération militaire et policière.

L’année 2019 a été le marqueur d’un tournant particulièrement autoritaire et répressif en Guinée. Alors que depuis plusieurs années, les manifestation sont interdites ou réprimées, à l’approche de la fin du deuxième et dernier mandat d’Alpha Condé, les tensions et violences ont augmenté. Ce pays voisin du Sahel s’est engouffré dans la veine du discours de la lutte contre le terrorisme pour instaurer des lois liberticides.

Un contexte pré-électoral sous tension

Votée en juin 2019, une loi sur la prévention et la répression du terrorisme met en péril la liberté d’expression et de rassemblement déjà malmenée et augmente la durée de la garde à vue à 30 jours. Quelques jours plus tard, une loi sur l’usage des armes par la gendarmerie, visant officiellement à protéger du terrorisme et des prises d’otage, fait office de permis de tirer. À la même période, alors que les craintes sur un possible tripatouillage constitutionnel augmentent, la mise en place d’une réforme constitutionnelle est annoncée, qui, derrière la présentation d’avancées concernant le droit des femmes (interdiction de l’excision et du mariage de mineures), permet la remise à zéro du compteur des mandats présidentiels et ouvre la voie au maintien au pouvoir d’Alpha Condé, sous couvert de mascarades électorales à venir. Un Front national pour la défense de la constitution (FNDC) s’est constitué pour lutter contre cette entourloupe constitutionnelle.

Depuis, les violations des droits humains s’accumulent : enlèvements, arrestations arbitraires, manifestations interdites... Il y aurait eu au moins 31 morts dans des affrontements avec les forces armées entre octobre 2019 et février 2020 (Le Monde, 16/03). Après un report des élections suite à une pression de la communauté internationale et au retrait de la mission d’observation de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Alpha Condé a maintenu la tenue des scrutins le 22 mars malgré l’épidémie de Covid 19 et l’annulation d’une médiation de la CEDEAO en raison du contexte sanitaire. Selon l’Organisation Internationale de la Francophonie et l’audit de la CEDEAO, un tiers du fichier électoral pose des problèmes d’irrégularités.

Double scrutin au forceps

En amont des scrutins, les forces de l’ordre ont occupé l’espace : à partir du 25 février, un quadrillage de l’armée a été mis en place sur tout le territoire, avec des patrouilles jour et nuit. Le jour du scrutin, l’armée a été omniprésente : patrouilles, prise en charge d’urnes, dépouillements dans des casernes. Depuis les élections du 22 mars, le FNDC fait état de 119 morts, à Conakry et dans la région forestière, où le jeu ethnique, attisé par Alpha Condé depuis 2010 et exacerbé avec le maintien du vote, a entraîné des tueries. Un rapport d’Amnesty du 2 avril 2020 dénonce même le rôle des forces de l’ordre dans les violences depuis le 22 mars et appelle à la mise en place d’enquêtes indépendantes. Face à ce coup de force, le ministère des Affaires étrangères français reconnaît, dans sa déclaration du 24 mars, que le référendum n’a aucune « crédibilité » et a déploré le « rôle joué par des éléments des forces de sécurité et de défense ». Ces propos, qui dépassent la formule convenue des quelques irrégularités qui n’entachent pas la sincérité du scrutin, n’ont guère été appréciés par le pouvoir guinéen qui a aussitôt convoqué l’ambassadeur de France. Sans qu’on sache quels arguments lui ont été opposés.

Coopération militaire

Cependant, si le communiqué ministériel alerte sur « le rôle joué par des éléments des forces de sécurité et de défense excédant la simple sécurisation du processus », la coopération militaire et policière de la France avec ce régime désormais résolument dictatorial n’est pas remise en cause : formations de soldats guinéens, coopération opérationnelle et présence d’une dizaine de coopérants militaires en service au cœur des forces guinéennes selon les dernières informations disponibles (cf. Billets n°288, juillet août 2019).

Malgré ce contexte répressif, en décembre 2019, Bruno Baratz, commandant des Éléments français du Sénégal, a effectué une visite en Guinée afin de « renforcer la coopération militaire entre la Guinée et la France dans divers domaines, notamment dans le soutien apporté à la montée en puissance du Groupement des Forces spéciales ». Le Groupement des Forces spéciales, spécialisé sur le renseignement et la lutte antiterroriste, constitue justement avec le Bataillon Spécial de la présidence et le bataillon autonome des troupes aéroportées, les unités d’élite pointées par le FNDC pour leur rôle dans les violences post électorales. Même si le Quai d’Orsay ne manquera pas d’expliquer qu’aucun des éléments ayant bénéficié des bons conseils des coopérants militaires français n’a été personnellement impliqué dans cette vague de violence, le maintien de cette coopération est de toutes façons une marque de soutien au régime guinéen. Dans un contexte favorisé par la lutte contre le terrorisme et le positionnement stratégique de différents acteurs sur le continent africain, la Guinée entretient des relations militaires avec d’autres États, comme l’Arabie Saoudite, les ÉtatsUnis, le Maroc, la Russie, qui contribuent aussi à la formation, l’équipement…

La France, soutien historique de certaines des pires dictatures du continent, s’enferme désormais dans un pragmatisme justificateur pour préserver sa coopération militaire, puissant vecteur d’influence, sous le prétexte de ne pas laisser la place à d’autres. Comme hier pour contenir l’expansion du communisme ou aujourd’hui dans le Sahel au nom de la lutte contre le terrorisme, tous les prétextes sont bons pour justifier une coopération avec une armée meurtrière.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 296 - avril 2020
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