Survie

Le jour d’après ?

rédigé le 22 mai 2020 (mis en ligne le 25 mai 2020) - Marie Bazin

Ode à la santé gratuite et à l’Etat-providence, aides aux plus démunis, appel à la sobriété carbone, annonce de l’annulation massive des dettes africaines... un vent de folie, ou plutôt de lucidité, aurait-il soufflé sur l’Elysée au début de la crise sanitaire ? Si l’on ajoute à cela les nombreuses libérations dans les prisons pour remédier à la surpopulation carcérale, le versement automatique des prestations sociales sans avoir à passer par la case justification, la suspension des réformes de l’assurance-chômage et des retraites, la prolongation immédiate des titres de séjour des personnes étrangères, on aurait presque pu croire que ce fameux « jour d’après » était déjà là.

C’était sans compter les terribles réalités de l’état d’urgence sanitaire qui s’est imposé à tou.te.s et a particulièrement accru l’exclusion et la répression des plus précaires : les personnes racisées envers lesquelles les contrôles policiers et leurs violences ont redoublé, les habitant.e.s des DOM-TOM soumis à un couvre-feu, celles et ceux des quartiers dits populaires qui ont été littéralement fliqué.e.s et accusé.e.s de ne pas respecter le confinement, malgré leur très forte exposition au virus (Seine-Saint-Denis, Mulhouse). « Nous sommes en guerre » a affirmé Emmanuel Macron. Effectivement.

Ainsi, alors que pour certain.e.s tout semble s’être arrêté, suspendu par le confinement, dans d’autres cas tout a continué comme avant ou presque. Cette année la Françafrique n’aura pas sa grand-messe, le sommet France-Afrique prévu à Bordeaux en juin ayant été annulé. Mais en Guinée la répression contre l’opposition à la dictature continue et la coopération militaire française n’a pas été suspendue. Au Sahel, l’armée française poursuit ses frappes sans aucune remise en question. Les usines françaises de production d’armes ont rapidement repris leurs activités, à l’instar de l’usine Dassault qui produit les avions Rafale. Le budget de la défense reste une priorité. Des milliards d’euros ont été débloqués pour l’économie, sans aucune demande de contrepartie aux grandes industries, mais l’annulation des dettes africaines n’aura pas lieu.

Seule bonne nouvelle de la période, tombée le 16 mai : l’arrestation de Félicien Kabuga en France, le « financier du génocide » des Tutsi, visé par un mandat du tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et recherché depuis plus de 20 ans alors qu’il se cachait près de Paris. Mais ici c’est l’opiniâtreté de l’équipe de tracking du TPIR, et non celle des autorités françaises, qu’il faut saluer.

On se prend alors au jeu d’imaginer notre « jour d’après ». Un jour où le budget militaire sera consacré à la reconversion des industries de défense et reversé pour la santé, l’éducation, la justice... Ça promet de sacrées revalorisations de salaires Un jour où la baisse du trafic aérien et automobile rendra automatiquement caduques les projets pétroliers qui privent des populations du monde entier de l’accès à leurs terres, à leurs eaux, à leurs ressources. Un jour où les colonies françaises d’Outre-Mer retrouveront enfin leur indépendance.

Pour que ce « jour d’après » ait une chance de devenir une réalité, on ne lâche rien, on continue à travailler, documenter, dénoncer, se mobiliser, et on espère vous voir de plus en plus nombreux.ses à nos côtés.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 297 - mai 2020
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