Survie

Les exportations d’armes françaises aux rapports

rédigé le 27 mai 2020 (mis en ligne le 14 septembre 2020) - Raphaël Granvaud

Le ministère des Armées a rendu public son rapport annuel au Parlement sur ses exportations d’armement pour l’année 2019. Amnesty International constate quelques avancées en matière de transparence, mais également la poursuite d’une politique criminelle.

Pour la première fois, le rapport fourni aux parlementaires «  inclut les données du rapport annuel au Traité sur le commerce des armes (TCA)  », note Amnesty International (04/06). La confrontation de ce rapport avec celui fourni au TCA doit en principe permettre de vérifier que les exportations ne contreviennent pas aux engagements internationaux de la France. Le TCA, entré en vigueur en 2014, interdit en effet la vente de matériel militaire en cas de risque de violation grave des droits humains. Mais « les progrès constatés ne sauraient pas non plus dissimuler les avancées encore à venir, et urgemment, pour améliorer la transparence de la France », note l’ONG.

Des armes fantômes

Dans un rapport précédent (« Ventes d’armes et transparence, les omissions de la France », 27/05), l’ONG a en effet «  démontré que les chiffres des exportations et des importations d’armes de la France ont été systématiquement sous-évalués dans les rapports annuels de la France au Traité sur le commerce des armes entre 2015 et 2018  », à la demande des pays tiers, selon les déclarations de Parly en juillet 2019. Près du tiers des armes de petit calibre et de nombreuses armes lourdes n’ont pas été déclarées sur cette période, a constaté Amnesty en comparant les données fournies au TCA par les pays acheteurs (les armes potentiellement acquises par des pays non membres restant quant à elles invérifiables). Certaines exportations de matériels de guerre vers le Tchad par exemple sont ainsi devenues «  invisibles  » dans les données françaises. En outre, si la France mentionne dans son rapport au Parlement les motifs de refus d’exportation (un tiers concernant de possibles violations des droits humains ou du droit humanitaire international), les pays concernés ne sont pas nommés. Toute décision de transfert d’armes prend en compte le risque que ceux-ci puissent servir à commettre ou faciliter des violations graves du droit international humanitaire, selon les déclarations du ministère des armées aux Parlementaires en mai 2020, à savoir notamment : «  […] l’interdiction de dommages collatéraux disproportionnés par rapport à l’avantage militaire attendu ; le principe d’humanité selon lequel il faut chercher à limiter les dommages collatéraux d’une attaque. » Et d’ajouter que « ce critère préalable constitue un verrou.  » Mais le gouvernement français fait exactement «  l’inverse de ce qu’il déclare », constate Amnesty.

Complicité de 
crimes de guerre...

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis occupent en effet respectivement les 2ème et 5ème rangs des pays clients de la France alors qu’il a été démontré que le matériel français était impliqué dans la mort de civils au Yémen. « Le fait que les Émirats arabes unis violent l’embargo sur les armes des Nations unies ainsi que celui de l’Union européenne, ne semble pas être un obstacle aux livraisons françaises à destination de ce pays, ni aux prises de commande de celui-ci qui ont explosé en 2019, avec un montant de plus de 1,5 milliards d’euros  », note également Amnesty (communiqué du 11/06). La France a notamment poursuivi « un contrat pour la vente de navires de combat, des corvettes Gowind » alors que le blocus maritime infligé au Yémen «  se traduit par des restrictions sévères à l’entrée de biens de première nécessité et à l’aide humanitaire, qui pourraient constituer un crime de guerre.  » « La légalité des transferts d’armes effectués par la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et d’autres États reste douteuse  », notait déjà le groupe d’experts du Conseil des droits de l’homme sur le Yémen en septembre 2019.

… et de crimes 
contre l’Humanité

Si le gouvernement français persiste, ce n’est évidemment pas faute d’avoir été informé, « depuis cinq ans (...) sur les atteintes commises par toutes les parties au conflit, notamment des attaques aveugles, des bombardements illégaux, des détentions arbitraires, des disparitions forcées, des actes de torture, des violences sexuelles et l’entrave à l’aide humanitaire. » Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une exception : la 1ère place des acheteurs est occupée par le Qatar et la 3ème par l’Egypte. « Que l’Égypte figure dans le trio de tête des plus gros acheteurs d’armes françaises est tout aussi choquant et désolant  », dénonce cette fois Human Rights Watch (10/10) qui a « documenté les graves abus et crimes de guerre commis par l’armée égyptienne lors de ses opérations dans le nord-Sinaï », tandis qu’Amnesty avait déjà « documenté l’utilisation d’équipements français dans la répression sanglante (Human Rights Watch 28/01/2019) de manifestations par les forces de sécurité égyptiennes dans les années récentes ». Pas de quoi troubler pour autant la bonne conscience de Macron et de ses ministres, ni vraisemblablement celle des députés qui auront parcouru d’un œil distrait le rapport du ministère des Armées…
Raphaël Granvaud

Pas de ça chez nous

« On voit, une fois de plus, que les dépenses militaires sont extrêmement vulnérables aux détournements. Elles ne font l’objet que de très peu de contrôles parce qu’il n’y a pas de contrôle parlementaire en tant que tel. Elles sont couvertes par le secret Défense, et ça nous préoccupe », a déclaré le député LREM Jacques Maire à une journaliste de RFI (27/5). Qu’on ne se méprenne pas ! Jacques Maire n’était pas soudainement frappé par une crise de lucidité et de rébellion à l’encontre des pratiques du complexe militaro-industriel français. Le président du groupe d’amitié France-Niger évoquait l’affaire des détournements de fonds au Niger (voir les brèves). Chacun sait qu’en France, le système de commissions et rétro-commissions qui accompagne les gros contrats d’armements, c’est du passé....

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 298 - juin 2020
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