Survie

Pas encore séparés

rédigé le 15 juin 2020 (mis en ligne le 23 juin 2020) - Thomas Noirot

Après l’élection de Barack Obama, on vit fleurir en France un flot de commentaires émerveillés sur l’accession d’un noir à la Maison Blanche. En France, combien y avait-il à l’époque de noirs au gouvernement, ou au Parlement ? La question ne semblait pas mériter de se poser.
Une douzaine d’années plus tard, on a voulu nous faire un énième remake de la parabole de la paille et la poutre. À la mort de George Floyd, cet homme noir américain dont la vidéo de l’étouffement par un policier blanc a initié un mouvement qui n’est pas sans rappeler ce que fut #MeToo pour le féminisme, l’espace médiatique s’est vite empli des commentaires et dénégations habituels : c’est terrible le racisme aux Etats-Unis, en France c’est très différent. Il suffit de le dire pour s’en convaincre – du moins quand on est blanc. Deux jours plus tôt, le 23 mai, Camélia Jordana avait fait scandale en parlant dans une émission de variété télé « des hommes et des femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue et qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau. » La buzzosphère retint le mot « massacrer  », explicité pourtant dans la phrase suivante sur la peur légitime de ces personnes « qui se font contrôler quotidiennement, qui se font fracasser ». Et délaissa la suite où, après avoir pris l’exemple de l’homicide policier d’Adama Traoré en 2016, la chanteuse expliquait le dégoût et la colère que provoque l’impunité dont jouissent dans notre pays ceux qui tuent un homme « noir ou arabe, ou simplement pas blanc ».
Moins d’une semaine après, alors qu’une vague anti-raciste déferlait dans les rues des États-Unis, la famille d’Adama Traoré reçut les conclusions d’une nouvelle expertise innocentant les policiers français et utilisant sans vergogne les termes de « race noire  » pour qualifier la victime. Dans une rage froide et digne, sa sœur Assa Traoré lança un appel au premier des rassemblements qui allaient bientôt se succéder pour dénoncer les violences policières et le racisme d’État – terme adapté dès lors que les comportements racistes sont reproduits de façon systémique par ses serviteurs et protégés par les institutions. Le Préfet de police de Paris en donna un nouvel exemple en envoyant le 2 juin un message à tous les policiers assurant : «  Je ne laisserai pas salir une institution dont le rôle dans les grands moments de l’histoire de ce pays a été essentiel » (Mediapart, 2/06). Comment ne pas penser, par exemple, aux centaines d’Algériens massacrés par la police le 17 octobre 1961 : était-ce l’un de ces « grands moments » ? C’est sans doute ce que pensent les membres d’un groupe Facebook révélé par Streetpress (5/06), où des messages racistes, sexistes et homophobes s’échangent impunément entre 8000 policiers et gendarmes. Une paille !
Ces rassemblements, massifs, marquent dans ce contexte un point de rupture dans le traitement médiatique et politique du racisme dans la police. À l’indignation sélective contre les violences envers les noirs américains ont succédé les prémices d’un débat public sur le racisme dont est imprégnée toute la société française, jusqu’au cœur des institutions d’une République ayant l’Empire colonial parmi ses fondations. Mais ces institutions résistent. Aux États-Unis, certains policiers ont marqué les esprits en posant solidairement un genou à terre, symbole de l’humiliation qu’imposait la police aux noirs à l’époque des lois ségrégationnistes. En France, des policiers et leurs syndicats ont convoqué la presse pour poser à terre... leurs menottes, en signe de rejet du ministre de l’Intérieur, coupable d’avoir annoncé l’interdiction de l’étranglement comme technique d’interpellation et la suspension des agents en cas de comportements racistes. Une mise en cause insupportable, à les écouter – et tant pis si de plus en plus de témoignages internes à la police viennent les contredire. Leur contre-offensive idéologique trouve un relai chez Emmanuel Macron, qui qualifie de «  séparatistes » les centaines de milliers de Français discriminés dont la parole a enfin trouvé un écho jusque dans les grands médias. Des victimes du racisme qui voudraient nous séparer de notre imaginaire colonial, en somme.
Thomas Noirot

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 298 - juin 2020
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