Le 2 juin, un média camerounais indépendant révèle que le journaliste anglophone Samuel Wazizi, détenu au secret depuis 10 mois, vient de mourir en détention des suites de tortures. Face à la pression mise par les journalistes camerounais, le gouvernement annonce deux jours plus tard que leur confrère, arrêté le 2 août 2019, est décédé… dès le 17 août 2019, officiellement des suites d’une septicémie. Et, pas de bol, personne n’a prévenu son avocat, qui s’est lancé dans l’une de ces procédures à renvois multiples dont le Cameroun a le secret : 14 audiences déjà (RFI, 5/06), sans que les autorités songent à indiquer que le prisonnier ne peut être présent au procès… puisqu’il est mort depuis longtemps. Et enterré ? Pas sûr : l’armée prétend benoîtement avoir avisé la famille du décès et de la présence du corps à la morgue. Ce que dément la famille, qui continuait désespérément à essayer de faire libérer ce prisonnier politique, qui a eu le malheur d’être critique sur la guerre en zone anglophone. Les autorités ne sont pas plus crédibles quand elles présentent le journaliste comme un « logisticien de divers groupes terroristes » avec lesquels les troupes d’élite camerounaises sont aux prises depuis presque trois ans. Mais salir sa mémoire est efficace, puisque des milliers de relais du régime s’empressent, sur les réseaux sociaux, dans les bars et dans la presse à gages, de cracher sur le prétendu « terroriste ». Et c’est par la voix de l’ambassadeur de France, au sortir d’un entretien avec Biya, que les Camerounais ont appris que Biya « le président [lui] a promis qu’il allait lancer les enquêtes pour faire toute la lumière sur cette affaire ». Annoncer une enquête qui n’aura jamais lieu, une façon très camerounaise d’enterrer les affaires. Mais le faire par l’intermédiaire de la diplomatie française ne manque pas de sel : via les coopérants militaires détachés dans l’appareil répressif camerounais et qui relèvent de la Direction de la Coopération Sécurité-Défense du Quai d’Orsay, elle a peut-être déjà des informations...
L’affaire Wazizi rappelle la terreur dont joue le régime Biya vis-à-vis des journalistes et enquêteurs. Thomas Awah Junior a par exemple été arrêté en janvier 2017 à Bamenda après les premières manifestations dénonçant la « marginalisation » des anglophones – un mouvement pacifique dont la répression mènera à la radicalisation et à la lutte armée, un an plus tard. Bien qu’expliquant qu’il faisait son métier en couvrant ce mouvement et souffrant de problèmes psychologiques, il a été condamné pour terrorisme à 11 ans de prison. Depuis, sa santé se détériore : des photos de lui dans l’enfer carcéral camerounais avaient fait réagir la presse, en octobre 2018, sans que sa situation évolue. Autre exemple : Paul Chouta est en prison depuis mars 2019. Ce journaliste critique, très suivi sur Facebook, avait pris position en faveur du principal candidat d’opposition lors de l’élection présidentielle d’octobre 2018 : crime de lèse-dictature. Arrêté suite à une ubuesque plainte en diffamation, un délit passible de 6 mois de prison au Cameroun, il a déjà passé 16 mois en détention provisoire en attendant son procès, de renvoi en renvoi. Si l’objectif n’est pas forcément qu’il succombe à une « septicémie » comme Samuel Wazizi, c’est au moins de le briser, comme Michel Biem Tong : cet autre journaliste critique a fui le pays après avoir passé presque deux mois en détention fin 2018, notamment dans les locaux du sinistre Secrétariat d’État à la Défense. Lui aussi tentait d’informer sur la situation dans les régions anglophones, lui aussi a été accusé de terrorisme. En France, les parlementaires et Le Drian se mobilisent plutôt pour Amadou Vamoulké : cet ex-patron de la télévision d’État CRTV, aujourd’hui accusé de détournement de fonds, comme tous les serviteurs du régime tombés en disgrâce, a conservé de puissants relais.
En octobre 2019, Emmanuel Macron puis Jean-Yves Le Drian avaient assumé de refaire du dictateur camerounais Paul Biya - 37 ans au pouvoir - quelqu’un de fréquentable, au prétexte de quelques annonces censées mettre fin à la répression de l’opposition politique et à la guerre dans les régions anglophones (cf. Billets n°290 et n°291, octobre et novembre 2019). Simple vitrine : la guerre et la prison, pour les anglophones ou partisans de l’opposition politique, continuent de tuer.