Survie

Décoloniser 
l’espace public pour décoloniser les esprits

rédigé le 24 juin 2020 (mis en ligne le 1er novembre 2020) - Marie Bazin, Nicolas Butor

Entretien – Depuis l’assassinat de George Floyd aux Etats-Unis, les mobilisations antiracistes ont pris une ampleur inédite dans le monde. Parmi leurs revendications, celle de décoloniser l’espace public, en cessant d’y glorifier des figures coloniales à travers statues et noms de rues. Le 24 juin 2020 Survie a invité Thierno Guèye, philosophe à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, et Thomas Deltombe, essayiste et membre de la campagne « Faidherbe doit tomber », à dialoguer sur cette question lors d’un de ses « rendez-vous » en ligne. Nous publions la retranscription de leur entretien.

Statue de Gallieni à Paris redécorée. Photo Mathilde Larrère


Comment analysez-vous ce regain de contestation antiraciste qui s’est traduit par des manifestations massives et qui a fait tomber plusieurs statues de personnalités coloniales ces dernières semaines ?
Thierno Guèye : L’assassinat de George Floyd en direct devant la caméra de la jeune afro-américaine âgée de 17 ans du nom de Darnella, qui a filmé la scène, faute de pouvoir intervenir autrement parce qu’elle aurait pu subir le même sort que Floyd, a montré l’horreur que vivent les minorités noires en particulier aux Etats-Unis et a été un catalyseur qui a fait sortir tout le monde de ses gonds. Cela nous a amenés collectivement à nous poser des questions éthiques sur le traitement de certaines minorités par les forces de police aux Etats-Unis, depuis l’abolition de l’esclavage. Mais, on s’est vite rendu compte que ce genre de pratiques n’existait pas qu’aux Etats-Unis. Et, tout naturellement le mouvement s’est répandu partout dans le monde, surtout dans les pays occidentaux avec quelques échos dans les pays du sud et en Afrique.
Thomas Deltombe : Cela fait longtemps qu’il y a, dans le monde entier, des discussions sur les statues et les noms de rue qui glorifient des personnalités coloniales. Quand on a lancé la campagne « Faidherbe doit tomber » en 2017-2018 à Lille, il y avait déjà des contestations en Afrique du Sud, en Angleterre, notamment autour de la statue de Cecil Rhodes. Nous avons d’ailleurs repris le nom de la campagne « Rhodes must fall » pour notre campagne « Faidherbe doit tomber ». Il y a donc déjà eu un travail de long terme sur ces questions. Récemment, c’est une conjonction de facteurs, liés aux manifestations antiracistes aux Etats-Unis, qui a réactivé ces mobilisations déjà en cours. Pour ce qui concerne la France, la nouveauté est donc plutôt la médiatisation, que la question elle-même.
Quelle est l’image du général Faidberbe au Sénégal et quelle est l’histoire de la mobilisation autour de sa statue et du pont qui porte son nom à Saint-Louis ?
TG : Il y a selon moi un conflit générationnel autour de l’image de Faidherbe. Nos aînés, parents et grands-parents, ont tendance à avoir une image plutôt positive de lui et de son œuvre à Saint-Louis, par contre les gens de ma génération et des suivantes ont une vision plus critique de ce personnage, qui est liée à la colonisation violente et à la manière dont nous percevons la dignité humaine. Si je me réfère à ma jeunesse, quand j’allais en vacances à Saint-Louis, j’assistais souvent à la commémoration de la prière des deux Rakkas de Cheikh Amadou Bamba Mbacké, le fondateur du mouridisme, qui avait lieu sur la place Faidherbe, en face du palais du gouverneur. Systématiquement lors des discours sur la manière dont le colonisateur a emprisonné puis exilé Cheikh Amadou Bamba, il y avait toujours des personnes, parmi celles qui s’adressaient à la foule, qui demandaient le déboulonnage de la statue de Faidherbe et la débaptisation de la Place, et cela avant les années 1990 et de façon quasi constante. Par ailleurs, c’est intéressant de préciser que lors de cet événement, on ne laisse pas Faidherbe comme il est sur son socle. On lui fait porter des habits traditionnels sénégalais, en quelque sorte pour le travestir, et pour ne pas le voir tel qu’il se présente habituellement sur cette place.
Par la suite des mouvements pour déboulonner la statue ont été initiés, d’abord en 2011, par un jeune du nom de Thierno Dicko, puis en 2017 par mes amis Daouda Gueye Pikine et Khadim Ndiaye. Cette année, à la faveur des protestations, suite à l’assassinat de George Floyd, il y a eu un regain d’intérêt face à cette question, et même un intérêt grandissant, car des politiciens sénégalais, des imams, des acteurs de la société civile ont dû se prononcer sur la question. Même El Hadj Diouf, le footballeur international sénégalais, a déclaré qu’il faudrait peut-être changer la statue et qu’il serait favorable à ce que cette statue soit remplacée par quelqu’un qui soit moins taché de sang.
A Lille, c’est depuis 2018 que la question de la place de Faidherbe dans l’espace public se pose, avec la campagne « Faidherbe doit tomber ». Comment cette campagne a-t-elle été accueillie ?
TD : Faidherbe n’est pas connu à Lille, en réalité. Nous avons lancé cette campagne en 2017-2018 pour rappeler aux Lillois et Lilloises l’existence de cette statue et expliquer qui était Faidherbe. Il y a une très grande ignorance de Faidherbe, au point que les dates gravées sur le socle de la statue sont inexactes ! Il est expliqué qu’il était gouverneur au Sénégal de 1863 à 1865, or il l’était aussi de 1854 à 1861 et c’est précisément à cette période-là qu’il a multiplié les massacres.
On a lancé ce mouvement pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il y avait en 2017-2018 des débats autour de cette question à l’étranger (en Afrique du Sud, en Angleterre et ailleurs) et parce que, en France, un débat autour de la célébration de Colbert avait été lancé par le CRAN dans une tribune. Au même moment, il y avait à Lille un projet artistique sur les statues lilloises, dont celle de Faidherbe. Pour accompagner ce projet, des panneaux « explicatifs » avaient été ajoutés sous les statues et les « explications » nous ont choqués. L’un d’entre eux visait à expliquer aux enfants, qui était Faidherbe. Voilà ce qui était textuellement écrit : « Louis Faidherbe fut un grand militaire français, il a apporté au long de ses voyages de nombreuses connaissances sur la culture des peuples et du territoire africain.  » A la même période, toujours en 2017, la statue de Faidherbe à Saint-Louis est tombée du fait des intempéries. Par ailleurs, nous nous sommes rendu compte que Faidherbe était né en 1818, et donc que 2018 marquerait le bicentenaire de sa naissance. Tout cela a créé une bonne occasion de nous intéresser à Faidherbe et essayer d’en savoir plus. Il y a très peu d’écrits sur Faidherbe, donc on a travaillé pendant des mois pour essayer de comprendre qui il était, quelle était sa vie, comment il s’inscrivait dans l’histoire de la colonisation et de ses structures mentales.
On a lancé notre action en avril 2018, en amont du bicentenaire de sa naissance, et, coïncidence, le même jour la mairie de Lille lançait la restauration de la statue. Cela a permis de créer une actualité locale autour de cette question.

Statue de Gallieni à Paris redécorée. Photo Mathilde Larrère


A votre avis pourquoi les pouvoirs publics continuent de s’attacher à ces symboles coloniaux, comme en témoignent la réponse de la maire de Lille Martine Aubry qui a botté en touche, ou la dernière allocution d’Emmanuel Macron ?
TG : Pour une raison très simple : au Sénégal, comme dans beaucoup de pays francophones, nous n’avons pas encore fini de conquérir notre indépendance. Les livres de François-Xavier Verschave et d’autres recherches sérieuses sur cette question démontrent d’une façon très claire qu’il y a une mainmise du gouvernement français sur nos Etats depuis la colonisation qui n’a fait que changer de forme et d’apparence. L’actualité le montre parfois de façon très gênante, sur des questions de souveraineté nationale liées à la monnaie, à la sécurité ou à la politique intérieure. On se souvient par exemple de la dévaluation du franc CFA, une décision prise par un ministre en France, bien entendu avec la bénédiction de François Mitterrand, alors que le président sénégalais Abdou Diouf et ses collègues africains francophones n’étaient absolument pas d’accord.
Actuellement le Sénégal est devenu une sorte d’extension de la France, de DOM-TOM en Afrique de l’Ouest, où les intérêts français grandissent. Les Français qui viennent ici ne sont pas dépaysés, car ils y trouvent la même chose qu’en France : Auchan, Casino, Décathlon, Total, Suez, Orange, etc., tous ces labels qui ont investi notre pays sans aucune retenue, sans même avoir le tact de changer de nom (à l’exception de Suez), de logo ou simplement d’adopter une touche respectueuse de la spécificité et de la culture sénégalaise. C’est, malheureusement le résultat des échecs cumulés de nos présidents successifs qui n’ont pas pleinement mesuré les enjeux du renouvellement de la présence militaire et économique de la France dans nos pays, depuis les années 1960. Présence qui n’est qu’un mauvais recyclage de la période coloniale. En effet, nous n’avons pas eu de véritables indépendances et nous continuons à le payer jusqu’à ce jour. Par exemple, lorsque des ambassadeurs de France s’immiscent dans des débats de souveraineté nationale et font parfois des annonces avant même notre président de la République, si ce n’est pour le contredire parfois ; ou quand ils interviennent sur des sujets de politique intérieure, relevant de la souveraineté nationale, sans être ni inquiétés ni rappelés à l’ordre, la plupart du temps.
Quand la statue de Faidherbe est tombée à Saint-Louis à cause des intempéries la nuit du 4 au 5 septembre 2017, c’est Eiffage, une entreprise française, qui s’est chargée de la décrocher et la mettre à l’abri. Apparemment la remonter sur la place est une volonté de certains commis des pouvoirs publics français et de l’actuel maire de Saint-Louis, au mépris des protestations de la jeunesse, non seulement saint-louisienne, mais sénégalaise et même mondiale. Il y a une contradiction fondamentale et quelque chose de malsain dans le fait de célébrer ainsi la colonisation au XXIe siècle, et ce, d’autant plus que cela vient d’un pays qui se targue d’être celui des Lumières et des droits de la personne.
TD : Il y a un paradoxe entre l’ignorance des personnalités politiques de l’histoire coloniale et leur attachement à ces symboles. Par exemple, Agnès Buzyn a déclaré qu’elle entendait parler du général Bugeaud pour la première fois. C’est intéressant de voir que des personnes prétendument cultivées et qui occupent de hautes fonctions ne connaissent pas des épisodes fondamentaux de notre histoire. Martine Aubry nous a expliqué au Figaro que les Lillois étaient très « attachés à Faidherbe » en raison de la bataille de Bapaume mais elle était incapable, dans la même phrase, de donner la date exacte de cette bataille !
Thierno parlait de contradictions, je pense qu’il faut parler d’hypocrisie. On enseigne très peu l’histoire coloniale et pourtant s’infuse dans le débat public l’idée selon laquelle il y a eu des aspects positifs. Dans Valeurs actuelles, Manuel Valls a récemment parlé des aspects «  lumineux  » de la colonisation. Quant à Emmanuel Macron, qui avait tenu un discours plus raisonnable pendant sa campagne électorale, en déclarant que la colonisation était un crime contre l’humanité, il fustige aujourd’hui les militants anticolonialistes en les traitant de « séparatistes » et de « communautaristes  ».
Il est nécessaire aujourd’hui de comprendre que la colonisation est un système criminel. Le grand travers des débats actuels est de ne pas considérer que la colonisation est un système, comme le racisme. Balayer le caractère systémique de la colonisation conduit à faire un tri entre les « bons » et les « mauvais » aspects de la colonisation. L’intérêt de Faidherbe, c’est qu’il est perçu comme un « bon » colonisateur, quelqu’un qui aimait beaucoup les Africains, qui a appris les langues locales, etc.. Mais, évidemment, s’il s’est intéressé aux sociétés africaines, ce n’est pas parce qu’il était bienveillant. S’il a appris les langues et s’il aimait beaucoup les Africains - et surtout les Africaines d’ailleurs –, c’était pour mieux les dominer et les exploiter. S’il a fait construire des infrastructures, ce n’est pas « pour les Sénégalais », comme le prétend la propagande coloniale, mais pour les entreprises coloniales, notamment bordelaises, dont il était le protégé. La propagande coloniale en a fait une figure positive de la colonisation pour en réalité « positiver » un système criminel. Voilà le mythe que nous essayons de déconstruire en disant « Faidherbe doit tomber » et en soulignant le lien entre le passé et le présent. La Françafrique ne date pas d’hier, elle s’est construite dès la colonisation. Faidherbe s’appuyait sur des élites locales conciliantes pour pouvoir imposer la domination française sur les territoires, et c’est un des principes fondamentaux du néocolonialisme français sur le continent.
Ce qui est intéressant aussi dans l’attachement de nos responsables politiques à ces figures-là, c’est la façon dont ils utilisent le « nous ». A Lille, Martine Aubry dit : « Nous ne sommes pas attachés à Faidherbe comme figure coloniale mais comme résistant aux Prussiens ». Une anecdote intéressante : il y a une colonne Faidherbe dans la Somme, qui a été attaquée en 1903, non pour des raisons coloniales mais par des gens qui contestaient le militarisme. Ils ont décroché la plaque explicative et ont écrit : « A bas le militarisme, hommage aux victimes de votre barbarie. » L’aspect militariste en tant que tel de Faidherbe, même en tant que « héros » de la guerre contre les Prussiens, est donc également questionnable. Quand on entend Macron dire, lors de son discours de juin 2020, que nous ne pouvons pas « réviser qui nous sommes », il faut se demander qui est ce « nous » ? Quand on creuse ce discours, on comprend que c’est la bourgeoisie blanche parisienne qu’ils défendent à travers ces statues.
Malgré tout, au Sénégal comme en France, vous essayez d’interpeller ces pouvoirs publics. Pourquoi est-ce important selon vous que ces pouvoirs publics, au-delà de la population, s’emparent de ces questions-là ?
TG : La dénomination d’une rue ou d’un espace public relève de ces pouvoirs-là et ils auraient tout intérêt à entendre les protestations de ceux qui les ont élus. Sur la question des dénominations et des statues, de plus en plus de voix s’élèvent pour remettre en question ce choix libre ou forcé de laisser la colonisation subsister à travers les rues de Dakar, de Saint-Louis, à travers certaines statues, alors qu’on ne voit aucune statue de héros de chez nous qui se sont battus pour la liberté et la dignité contre nos oppresseurs. C’est assez rare de rencontrer un résistant à la colonisation célébré. Tout le monde connaît Lat Dior, Cheikh Amadou Bamba, Cheikh Oumar Tall, Ndaté Yalla Mbodj, les femmes de Nder, etc., ce sont des personnages mythiques et très respectés au Sénégal, qui ont résisté à la colonisation et à l’esclavage, qui n’ont pas subi sans rien dire, et qui mériteraient d’être célébrés.
Le plus important selon moi c’est moins l’action des politiques que la prise de conscience populaire, par les jeunesses de notre pays, de l’aberration que constitue la survivance de ces personnages coloniaux dans l’espace public. C’est la persistance de l’humiliation coloniale et cela fait perdurer un complexe d’infériorité, qui fait que lorsque nos élites sont en face des Occidentaux, elles ont l’impression d’être face au colonisateur qu’il ne faut pas contredire et contre qui il ne faut pas s’élever. Cela corrode la dignité de nos concitoyens tout en installant une crise profonde de l’exemplarité. Il est temps d’avoir un grand mouvement, et pour cela il faut que le peuple s’organise pour obliger les politiciens à l’écouter.
TD : Cette idée selon laquelle cette statuaire nous impose un pouvoir est très intéressante. Frantz Fanon disait : « Chaque statue, celle de Faidherbe ou de Lyautey, de Bugeaud ou du sergent Blandan, tous ces conquistadors juchés sur le sol colonial n’arrêtent pas de signifier une seule et même chose : ’’Nous sommes ici par la force des baïonnettes’’.  » (Les damnés de la terre). Cette phrase date de 1961, pourtant nous en sommes encore à débattre de cela.
À Lille, nous essayons d’avoir un dialogue avec les pouvoirs publics pour deux raisons. D’une part, une raison technique : la statue fait 15 mètres de haut et 40 tonnes donc il est peu probable qu’on parvienne à la déboulonner nous-mêmes. D’autre part, et c’est le plus important, le but de notre collectif est d’utiliser le support de la statue Faidherbe pour lancer un débat beaucoup plus général sur les liens entre le passé colonial et le présent. C’est aussi une façon de travailler en solidarité internationale avec des mouvements comme celui de Thierno au Sénégal.
En interpellant les pouvoirs publics, nous les poussons à prendre position sur ces questions. Il faut savoir que les écoles primaires de Lille – sous responsabilité de la mairie – envoient les enfants dans un musée local qui s’appelle le musée des Canonniers. C’est un musée très militariste dans lequel un culte est fait à Faidherbe, où l’on explique qu’il est celui qui a « fait le Sénégal », que les « Sénégalais adorent Faidherbe  », etc. C’est de la propagande primaire, que l’on retrouve, le lendemain, écrite dans les cahiers des enfants…
Les statues sont évidemment des supports pour soulever des questions beaucoup plus profondes, qui inquiètent naturellement les pouvoirs publics largement ignorants des enjeux postcoloniaux.
Que répondez-vous au discours selon lequel faire disparaître ces statues, c’est faire disparaître la mémoire de l’histoire coloniale ?
TG  : Les statues ne sont pas des livres d’histoire et il y a tellement peu de statues au Sénégal que l’on ne peut pas dire qu’elles représentent notre mémoire. Elles ont davantage une fonction idéologique et panégyrique qu’historique. Dans les pays anciennement colonisés, elles ont aussi la fonction de nous rappeler qui est le véritable maître. A la limite il faudrait placer cette statue dans un musée de la colonisation, qui n’occulterait pas tous les crimes commis, pour vraiment préserver cette mémoire coloniale, qui ne représente qu’une centaine d’années dans une histoire plusieurs fois millénaire, mais si chères à certains autant en France qu’au Sénégal, malheureusement.
Je suis donc en total désaccord avec ceux qui associent les statues à la mémoire. Si l’on allait jusqu’au bout de ce raisonnement, il faudrait que chaque génération choisisse sa mémoire, afin qu’une statue placée au XIXe siècle dans un endroit ne puisse pas nous être imposée au XXIe siècle alors qu’elle n’a plus sa raison d’être dans l’espace public sénégalais, si tant est qu’elle ait déjà eu une bonne raison d’y être.
TD : Il faut signaler que la statue de Saint-Louis a été placée par les autorités coloniales en 1887 et maintenue ensuite par un pouvoir pro-français. Elle n’a donc pas été choisie par les Sénégalais. Je suis d’accord avec l’idée de mettre ces statues dans des musées. Dans un musée, il est intéressant d’analyser ces objets historiques. Les laisser dans l’espace public, à l’inverse, revient à glorifier ces personnages. Nous accuser de vouloir effacer l’histoire de la colonisation est ridicule : nous essayons justement de remettre la lumière sur cette histoire enfouie et taboue. Nous disons simplement qu’on ne peut plus faire cette histoire en glorifiant les oppresseurs. Il est temps de changer de perspectives. Et si on veut rendre des hommages, c’est aux victimes, très nombreuses, de la colonisation ou à ceux et celles qui y ont résisté qu’il faut le faire.
TG : L’idée n’est pas de réécrire l’histoire, mais nous ne regarderons jamais l’histoire avec les yeux de ceux qui l’ont faite, nous la regarderons toujours avec nos yeux du présent. Personnellement je n’ai aucun état d’âme à voir cette histoire-là avec mon éthique d’aujourd’hui et à considérer que les pratiques coloniales sont absolument ignobles, criminelles et inacceptables, peu importe l’époque à laquelle elles ont été commises. Ce sont des faits abjects que tout le monde devrait condamner, y compris ceux qui se réclament de ces personnages-là ou de cet héritage-là.
Propos recueillis par Nicolas Butor et retranscrits par Marie Bazin

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 299 - juillet-août 2020
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