Survie

Avis de disparition

rédigé le 19 octobre 2020 (mis en ligne le 26 octobre 2020) - Marie Bazin

On recherche activement le droit à l’autodétermina­tion des peuples colonisés dans le débat public...
Apparu au début du XXe siècle, il a été formalisé
dans la Charte des Nations­-Unies en 1945, qui reconnaît
dans son article 1 « le principe de l’égalité de droits des
peuples et de leur droit à disposer d’eux-­mêmes ». Soyons
clairs, il ne s’agit pas d’un vibrant engagement des Etats en
faveur de l’autodétermination des peuples colonisés... A la
création de l’ONU, les colonies sont encore nombreuses
et plusieurs États membres de l’ONU sont colonisateurs.
Ce droit à l’indépendance n’a donc aucune valeur obliga­toire mais l’Assemblée générale de l’ONU, plus égalitaire
dans son fonctionnement que le Conseil de sécurité, le
renforce en adoptant en 1960 la « Déclaration sur l’octroi
de l’indépendance aux pays et
aux peuples coloniaux ». De celle­-ci découle ensuite la création du
comité spécial sur la décolonisa­tion en 1962 pour suivre l’appli­
cation de cette déclaration et la
liste officielle des territoires à décoloniser, sur laquelle
sont actuellement inscrites la Nouvelle­-Calédonie et la Po­lynésie française.
Ne nous y trompons pas : la décolonisation est avant
tout le fruit des revendications d’indépendance des
peuples colonisés, mais l’inscription du droit à l’autodé­termination dans le droit international donne aux mouve­ments indépendantistes un levier juridique, même très
restreint, et un lieu d’expression de leurs revendications.
Des années 1950 aux années 1970, cela contribue aussi à
faire entrer la question de l’autodétermination dans le dé­bat public, puisque l’équation semble alors assez logique :
ce droit existe, des peuples le revendiquent et en sont pri­vés, leurs revendications de disposer librement d’eux­
mêmes sont donc entendables. On pense évidemment à
l’exemple de l’Algérie, mais aussi du Tibet, de la Palestine,
du Chiapas, qui suscitent de larges mouvements de sou­
tien dans les pays occidentaux.
En revanche en France, une fois l’Algérie indépendante
et la Françafrique sur les rails, le sort des dernières colo­nies « d’Outre­mer » (Comores, Djibouti, et ce qui est res­té l’Outre­mer actuel) ne crée pas beaucoup d’émois au
sein de la population. Néanmoins leur droit à l’autodéter­mination fait encore partie du débat politique. En 1972, le
programme commun du Parti socialiste et du Parti com­muniste affirme que « le gouvernement reconnaîtra le
droit à l’autodétermination des peuples des DOM et des
TOM ». En 1981, les 110 propositions du candidat Mitter­rand contiennent celle­-ci, déjà plus réservée : « Pour les
peuples de l’outre­mer français qui réclament un véri­table changement, ouverture d’une ère de concertation et
de dialogue, à partir de la reconnaissance de leur identi­té et de leurs droits à réaliser leurs aspirations
. ». Dans
les années 1980, les « événements » en Nouvelle-­Calédo­nie ramène l’autodétermination sur le devant de la scène,
et certains débats politiques y font encore référence en ces
termes. Mais à partir de l’accord de Matignon en 1988, il
ne sera plus question
dans les paroles politiques
et médiatiques d’un
peuple colonisé luttant
pour son indépendance,
mais de « populations ca­lédoniennes » dialoguant sur leur « destin ». 32 ans plus
tard, au lendemain du 2e vote sur l’indépendance le 4 oc­tobre dernier, les médias majoritaires parlent d’une « so­ciété divisée » mais les raisons de la division ne sont
jamais nommées. Exit la situation coloniale.
Dans le reste des DOM­-TOM, la décentralisation a rem­placé l’autodétermination. L’État a cherché à étouffer les
revendications nationalistes de ces territoires, usant de di­vers moyens, le cas des enfants « transplantés » en France
depuis la Réunion en est un exemple.
Au sein de la population française, le soutien à l’auto­
détermination des derniers peuples colonisés n’a plus le
vent en poupe. A part une poignée de militant.e.s fran­çais.es, qui connaît l’histoire coloniale de l’Outre­mer ?
Qui ose encore appeler la Guadeloupe, Mayotte, la
Guyane, la Polynésie française... des « colonies » ? Qui s’in­téresse encore à la situation du Sahara occidental, à la ré­pression subie par les Sahraouis et au soutien qu’apporte
la France au Maroc ? Preuve qu’il nous faut, aujourd’hui
plus qu’hier, lutter d’abord contre la colonisation des
esprits.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 301 - octobre 2020
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