« Entre la France et l’Afrique, ce doit être une histoire d’amour ». Les jolies paroles d’Emmanuel Macron dans l’interview qu’il a donnée à Jeune Afrique (20/11) tombent vite à l’eau lorsqu’on comprend à qui cette flamme est déclarée, quand il propose sa recette pour régler les problèmes de démocratie sur le continent. Soutenir les contre-pouvoirs démocratiques ? Ligoter les multinationales corruptrices ? Arrêter la coopération militaire et policière avec les régimes autoritaires ? Pas du tout : « Le point clé, derrière tout cela, c’est le statut des anciens présidents. (…) L’un des chantiers que l’[Union Africaine] doit régler, c’est de rassurer les dirigeants en leur expliquant ce qu’ils deviendront quand ils ne seront plus au pouvoir. » Autrement dit, Macron demande la mise en place pour les chefs d’État Africains d’un système d’impunité !
Macron poursuit en faisant le tri entre les bons et les mauvais autocrates. « Je ne mets pas le cas de la Guinée et celui de la Côte d’Ivoire dans la même catégorie », explique-t-il par exemple au sujet des troisièmes mandats anticonstitutionnels. Si Condé « a organisé un référendum et un changement de la Constitution uniquement pour pouvoir garder le pouvoir », Ouattara « s’est présenté par devoir » car il n’y avait pas d’ « autre solution », estime-t-il. Le pauvre ! D’ailleurs, les agressions orchestrées contres les militants de l’opposition et la traque de leurs dirigeants, c’était bien malgré lui… Même cynisme présidentiel concernant l’Algérie : « Je ferai tout ce qui est en mon possible pour aider le président Tebboune dans cette période de transition. Il est courageux. » Pourtant, dans une tribune du Monde (24/11) plusieurs militants algériens notent que « Les propos de M. Macron tombent d’autant plus mal qu’ils interviennent en pleine campagne d’arrestations de militants du Hirak, de recul des libertés individuelles et collectives, et de purges intestines au sein des services de sécurité. »
Quelques jours après cette interview, Emmanuel Macron récidive, en accueillant du 7 au 9 décembre le très autoritaire Abdel Fattah Al-Sissi, lui remettant même la « grand’croix » de la légion d’honneur, distinction suprême en la matière. Le président égyptien rejoint ainsi la funeste liste de ses homologues autocrates déjà distingués, comme le syrien Bachar el-Assad (qui l’a depuis rendue), l’azerbaïdjanais Ilham Aliyev, le russe Vladimir Poutine, le libyen Mouammar Khadafi, le roi du Maroc Mohammed VI, le tunisien Ben Ali, ou encore Omar Bongo, Jean-Bedel Bokassa, Nicolae Ceausescu...
L’affaire aurait pu passer inaperçue si le pouvoir égyptien n’en avait pas fait la promotion dans son pays, et aurait probablement eu peu d’échos dans les médias français si le journaliste et écrivain italien Corrado Augias, n’avait pas rendu sa légion d’honneur en guise de contestation. Tout a été fait dans le secret, en tenant à l’écart les journalistes, comme c’est souvent l’usage en telle situation. En effet, pour les dirigeants étrangers, ces décorations sont à la discrétion du chef de l’État et peuvent ne pas être publiques, même pas publiées au journal officiel. L’Élysée a beau jeu de banaliser cet événement en se cachant derrière le protocole, le symbole n’en est pas moins fort, et les conséquences sur le peuple égyptien réelles. Les faits d’armes du pouvoir égyptiens sont nombreux : arrestation et détention abusive d’opposants et de défenseurs des droits humains (au moins 60 000 prisonniers politiques !), torture, disparition forcée, le tout sous couvert de lutte contre le terrorisme. Si Macron euphémise en reconnaissant des « désaccords » avec le président égyptien en matière de droits de l’homme, il assume : « Je ne conditionnerai pas notre coopération en matière de défense, comme en matière économique, à ces désaccords ». Coopération sécuritaire, contrats d’armement et de matériels de surveillance, alliance sur la Libye et la question des gisements de gaz en Méditerranée orientale… On ne lâche pas comme ça un allié pour les intérêts économiques et politiques de la France dans la région, ni un partenaire dans la lutte contre le terrorisme. C’est une autre version du « quoi qu’il en coûte ». Le mot doux est passé à Al Sissi, la voie de la répression est libre. Celui-ci n’a pas manqué de transmettre le message à son peuple...
Pauline Tétillon