Survie

Une guerre sans fin ?

rédigé le 28 février 2021 (mis en ligne le 18 mars 2021) - Emma Cailleau

Ce 28 février, à l’aube, des chars d’assaut ont encerclé le domicile de Yaya Dillo, ex-rebelle, ex-ministre et candidat à la prochaine élection présidentielle au Tchad. Au moins 3 personnes ont perdu la vie, dont la mère de l’opposant, lequel a été exfiltré. Dans la foulée, internet a été coupé jusqu’au 3 mars. Un nouveau seuil dans la répression et l’impunité a été franchi qui en dit long sur l’état actuel du pays. Début février, l’autoproclamé Maréchal Idriss Déby a été investi par son parti pour la prochaine élection présidentielle, prévue le 11 avril, alors que des manifestations étaient réprimées et des militant.es arrêté.es. Tout est fait pour écraser toute voix alternative. L’opposition tente de se mobiliser pour boycotter les élections dans un climat de pressions intenses. Le soutien international est faible, la répression se fait dans une certaine indifférence des médias internationaux. La France a réagi le 3 mars aux derniers événements par un commentaire dans la lignée des communiqués habituels, sans condamnation ferme de ces procédés. Ainsi, J-Y Le Drian appelle à une enquête impartiale, rappelant au passage les antécédents judiciaires de Yaya Dillo, comme si ces éléments atténuaient la gravité des faits (RFI, 03/03/21). Il invite le Tchad à faire participer l’opposition à l’élection présidentielle - un gage à donner ? Et en souligne l’enjeu pour la « stabilité »… mais de quelle « stabilité » est-il question ? La France continue de fermer les yeux sur la situation dans le pays, fidèle allié au Sahel
Les 15 et 16 février s’est tenu à Ndjaména le sommet du G5 Sahel. Idriss Déby en a profité pour annoncer l’envoi de 1200 soldats, dans la zone des trois frontières (Niger, Mali, Burkina Faso), où se concentrent les opérations de Barkhane. Il répond à un engagement pris à Pau lors du précédent sommet du G5 en 2020. L’implication de l’armée tchadienne dans la lutte contre Boko Haram, mais surtout des questions financières ont ralenti l’effectivité de l’envoi. Quelques jours avant le G5 Sahel, l’Élysée reconnaissait que les questions financières avaient été réglées...sans que les modalités soient précisées. L’implication de l’armée tchadienne confirme la consécration d’Idriss Déby comme allié indispensable, prix à payer pour persévérer dans la lente « sahélisation » de l’opération Barkhane. Pourtant, la composition de cette armée clanique et ses pratiques violentes représentent un danger pour la population et l’avenir du pays, comme le rappelle dans un rapport récent l’International Crisis Group.
Surtout, malgré l’émergence de débats sur la légitimité et l’efficacité de Barkhane, les conclusions du G5 Sahel sont loin d’un réajustement. Il s’agit plutôt d’un rhabillage pour tenir dans la durée. Le compte-rendu du G5 Sahel martèle sa priorité des priorités : la lutte contre le terrorisme. Bien que le tout militaire soit remis en question dans les discours, le sommet consacre l’« amplification de la dynamique militaire » après les « succès militaires » (lire en page 7 l’article Guerre française au Sahel : on repart pour 10 ans ?).
Sur le volet du renforcement des États sahéliens, E. Macron met en avant, dans son introduction au sommet du G5, le Niger comme exemple, évoquant à propos des dernières élections présidentielles « une victoire collective politique ». Des ONG comme Amnesty et Tournons la page ont pourtant alerté sur les graves tensions post électorales : arrestations, violences, coupures d’internet. Depuis plusieurs mois, les alertes pour la société civile se sont répétées : arrestations, violences, menaces sur des militant.es des droits humains…
L’enchaînement des violences, depuis l’intervention en Libye jusqu’à l’extension des groupes armés au Sahel, et leurs répercussions politiques, économiques et sociales risquent de continuer à augmenter dans la sous-région, où le maintien de dictateurs au pouvoir et l’absence de perspectives d’avenir y contribuent. La logique du tout militaire nourrit une guerre sans fin.
Emma Cailleau

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 305 - mars 2021
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