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Coup d’état sponsorisé

rédigé le 28 avril 2021 (mis en ligne le 31 août 2021) - Raphaël Granvaud

Emmanuel Macron avait promis d’en finir avec l’ingérence et de respecter la volonté d’émancipation des jeunes Africain.e.s. S’il n’avait pas déjà totalement piétiné ses promesses, c’est désormais chose faite, et bien faite. A la mort du dictateur tchadien Idriss Déby, il s’est empressé de se rendre en personne aux funérailles de cet « ami courageux  » de la France et d’adouber publiquement le fils de l’autocrate. Aux côtés de Mahamat Idriss Déby, il a assuré : «  La France ne laissera jamais personne, ni aujourd’hui, ni demain, remettre en cause la stabilité et l’intégrité du Tchad ». Officiellement, la déclaration visait les groupes rebelles, mais les démocrates tchadien.ne.s ne s’y sont pas trompé.e.s.
Préalablement, non seulement la diplomatie française n’avait pas condamné le putsch, se contentant de « prendre acte », mais elle l’avait même justifié par la voix de son ministre des Affaires étrangères, à la télévision française (France 2, 22/04). Selon Le Drian, si le fils Déby a pris le pouvoir à la tête d’une junte militaire, violant la Constitution qui prévoit un pouvoir intérimaire assuré par le président de l’Assemblée nationale, c’est parce que ce dernier s’est désisté « en raison des situations exceptionnelles  ». Ces propos laissent peu de doute sur le fait que le scénario de la « transition » a été co-écrit par des représentants de l’État français : diplomates, militaires ou plus vraisemblablement agents des services secrets que les nouveaux maîtres de N’Djamena côtoyaient déjà quotidiennement.
Une semaine après la mort de Déby, les premières mobilisations pro-démocratie étaient réprimées à balles réelles et des centaines de jeunes étaient arrêtés. Les médias s’y sont moins intéressés qu’à la Birmanie, alors (ou en raison du fait ?) que le drapeau français était brûlé dans les manifestations. Macron s’est alors senti obligé de condamner « fermement » la répression, pour tenter de faire oublier que son attitude des jours précédents l’avait fermement encouragée Rfi, 28/04. Il a assuré qu’il était favorable à une « transition pacifique, démocratique et inclusive » et non à « un plan de succession ». Message entendu : la junte constituait alors un gouvernement civil à sa botte, orné de quelques figures de l’opposition, et rappelait ses promesses de retour à l’ordre constitutionnel pour les calendes grecques. En coulisse, l’ambassade de France recevait à tour de rôle les représentants politiques et associatifs pour tenter de les dissuader de manifester à nouveau et les encourager à « faire avec » le Conseil militaire de transition, selon les témoignages édifiants rapportés par Mediapart (11/05). Peine perdue : nouvelles mobilisations, nouvelle répression à balles réelles le 8 mai. Mais la diplomatie française faisait visiblement le pont de l’Ascension.
La position française n’est pas nouvelle (cf. p.4). Comme le rappelle la chercheuse Marielle Debos dans Le Monde (23/04), « cette politique est sous-tendue par une idéologie : celle de l’homme fort  » qui conviendrait au Tchad, conception tout à la fois paternaliste, raciste et sexiste. La nouveauté, c’est que les Français ont réussi à contaminer les institutions européennes : « Que pouvons-nous faire d’autre ? (...) Ce n’est pas une démocratie à l’européenne. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal  », a justifié Josep Borrell, le haut représentant de l’Union européenne, s’abritant derrière la position de Macron (Le Monde, 28/04).
Ces petits arrangements sont justifiés par la contribution tchadienne à la « guerre contre le terrorisme » que tout le monde craint de voir remise en cause. A l’aune de ces préoccupations, cette politique est pourtant stupide, en plus d’être criminelle : le Tchad ne connaît pas pour l’instant de mouvement djihadiste endogène implanté sur son territoire. Pour combien de temps ? Vers qui se tournera la jeunesse tchadienne si les mobilisations démocratiques échouent ? Continuer à soutenir une dictature clanique pour permettre à l’armée française de conserver ses privilèges dans le pays et la région, c’est faire le lit des djihadistes de demain.
Raphaël Granvaud

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 307 - mai 2021
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