Survie

Les sauveurs de l’Afrique

rédigé le 15 juin 2021 (mis en ligne le 1er août 2021) - Raphaël Granvaud

A l’occasion de sa dernière interview fleuve, accordée au JDD le 29 mai dernier, et consacrée au bilan de sa politique africaine, Emmanuel Macron témoigne d’une modestie sans faille. Sarkozy se vantait d’avoir sauvé la Libye, Hollande le Mali. Macron se veut le sauveur de l’Afrique tout entière et démontre, par son usage immodéré de la première personne, qu’il ne craint ni le ridicule ni les répétitions : « je lance en 2018 le partenariat mondial pour l’éducation au Sénégal » ; « j’invite les leaders africains au One Planet Summit comme à Nairobi en 2019 » ; « C’est ce qui m’a permis (...) de m’inviter à une réunion du bureau de l’Union africaine pour les convaincre de travailler avec nous, pour qu’à mon tour je puisse convaincre mes partenaires européens et du G20 de lancer l’initiative Act-A » ; etc., etc. Et pour l’avenir ? « … plan Marshall… générosité… on efface une partie de la dette... ». Et mieux encore : « qu’on laisse sa société civile accéder aux responsabilités, qu’elle ne se laisse pas entraîner dans les réseaux de corruption et de gouvernance fermée. C’est cela mon pari », déclare sans rire celui qui assume sa présence à l’intronisation du fils Déby au Tchad. « Il faut permettre de voir émerger cette nouvelle génération partout où elle est étouffée par le pouvoir en place. » Un pouvoir – faut-il le rappeler ? - systématiquement soutenu par la coopération militaire française, tant qu’il se montre accommodant...
Pour exposer son grand projet, Macron a réuni une vingtaine de chefs d’État pour un Sommet sur le financement des économies africaines. Au menu, un prétendu « new deal économique », pétri de vieilles recettes libérales. Il s’agit d’abord de faire respecter le «  cadre commun pour le traitement de la dette souveraine  » négocié par le G20, c’est-à-dire de ramener les brebis égarées par les prêts chinois dans le giron du FMI, tout en poussant aux Partenariats public-privé (PPP), juteux pour les entreprises privées étrangères, catastrophiques pour les finances publiques africaines. C’est aussi le moyen, pour l’État français, de se poser à nouveau en interlocuteur incontournable du continent, pour consolider, voire élargir, sa sphère d’influence.
Le cas de la Conférence internationale pour le Soudan, qui a précédé le Sommet de Paris, est à ce titre exemplaire. La France aurait sauvé le Soudan en effaçant 5 milliards de dollars de créances et en lui accordant un prêt-relai de 1,5 milliard de dollars pour apurer ses arriérés envers le FMI, nous ont répété en chœur les médias français. En réalité, comme l’a rappelé le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (18/05), la manœuvre permet de relancer le cycle de l’endettement tout en blanchissant la dette préexistante, juridiquement «  illégitime et odieuse », essentiellement constituée d’arriérés et de pénalités, qui « n’a pas profité à la population, a été contractée avec la complicité des créanciers, et devrait être purement et simplement annulée, sans aucune forme de conditionnalités  ». En contrepartie, les banques et les entreprises françaises devront bénéficier de généreuses part de marché. Pour ceux qui nous serinent que la France n’a plus d’intérêts économiques à défendre en Afrique, Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Médef, se veut rassurant (Jeune Afrique, 04/06) : «  il y a un effet trompe-l’œil. (...) Les chiffres sont très clairs : en dix ans, les entreprises françaises ont doublé leur stock d’investissements, passant de 20 à 40 milliards d’euros. (…) Si nos parts de marché diminuent [en proportion du total], c’est plutôt le reflet d’un marché plus grand  ». L’Afrique est sauvée.
Raphaël Granvaud

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