Survie

Tutelle post-coloniale

rédigé le 30 mai 2021 (mis en ligne le 7 septembre 2021) - Gérard Moreau

Comment affirmer, 60 années après l’indépendance, que le Sénégal se trouve sous tutelle de la France au point de considérer ce pays comme l’un de ses territoires d’Outre-mer ? La démonstration de Cheik Faye, actuellement professeur agrégé à l’Université du Québec, s’appuie sur un dossier très documenté.


Le livre s’ouvre par une approche historique des relations franco-sénégalaises, relations en « dents de scie », puisque tous les chefs de l’exécutif n’ont pas pratiqué la soumission avec autant de zèle. Dans les années 1960-62, avec une figure comme le président Mamadou Dia, la politique d’indépendance s’affirme avec la mise en place de coopératives paysannes pour un « développement endogène ». Mais les tentatives de limiter le poids de la France sont brusquement interrompues quand, à partir de 1963, Senghor prend en main toutes les commandes de l’Etat, avec une tout autre politique : « les intérêts français d’abord ». Abdou Diouf, son successeur, suit la même orientation. Les entreprises privatisées dans le cadre de l’ajustement structurel, sont avalées par des sociétés françaises : Bouygues, France-Télécom, Total, Accor et bien d’autres.
A partir de 2000, la politique de diversification menée par le président Abdoulaye Wade tend à réduire la présence française, mais en 2012, avec son successeur, Macky Sall c’est « le grand retour des entreprises françaises : la recolonisation économique ».

Entreprises néocoloniales

Cheick Faye décrit l’offensive des entreprises françaises qui se déploient au Sénégal, et met en avant l’exemple du TER Dakar AIBD qui représente un véritable jackpot pour les sociétés françaises : la fabrication de 15 rames de 4 voitures par Alstom, ENGIE, THALES, la construction des voies par EIFFAGE, jusqu’à l’exploitation et la maintenance qui vont à la RATP et la SNCF. Le tout avec un prêt de 200 millions d’euros apporté par l’AFD (Agence française de développement). Un long développement est consacré à Total et décrit les facilités qui lui sont offertes.
Les pages suivantes détaillent la présence des entreprises françaises au Sénégal, leur poids relatif dans l’économie du pays, et aussi la manière dont les autorités sénégalaises facilitent leur implantation. Résultat, les 29 entreprises françaises les plus importantes ont réalisé en 2014 un chiffre d’affaires de plus de 2000 milliards de CFA, soit 40 % du chiffre d’affaires des 100 premières entreprises du Sénégal, et plus de 20 % du PIB. Peu de secteurs échappent à l’implantation française.
« Si tout cela est rendu possible, c’est parce qu’une partie de l’élite politique et administrative… s’est totalement inféodée aux intérêts français ». Cheick Faye détaille ses accusations : mensonges et manipulations…forfaiture, situations de monopole, profits exorbitants, favoritisme…

Le business de l’aide

Quant aux institutions françaises, elles disposent d’un arsenal d’outils que Cheick Faye présente brièvement : la diplomatie au service de l’économie française. « Le président Macky Sall a dit que la France nous accordait des prêts chaque fois que de besoin  ». L’AFD, « instrument de pénétration des marchés », permet aussi à l’État français de tirer profit des intérêts des prêts consentis. Cheick Faye cite le rapport de 2013 du Sénat : « l’AFD a versé en dividende à l’État depuis 2004 un montant cumulé de 1,1 milliard d’euros ».
L’auteur ne s’arrête pas au seul diagnostic de tutelle de la France. L’ouvrage se termine par un retour sur l’action du président Dia, au début des années 60, pour réduire l’assistance technique française et obtenir une vraie indépendance.
Ce livre constitue un solide dossier à charge, complété par de nombreuses annexes, appuyé sur les faits, avec un ferme point de vue anticolonial, mais sans discours idéologique. Une lecture très utile au mouvement pour une réelle indépendance.
Gérard Moreau

Tutelle postcoloniale, Le Sénégal, 13e territoire d’Outre-Mer de la France, Cheikh Faye, L’Harmattan, 2020, 190 p

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 308 - juin 2021
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