Survie

La vraie-fausse fin de l’opération Barkhane

rédigé le 10 juillet 2021 (mis en ligne le 13 octobre 2021) - Raphaël Granvaud

Le président Macron a annoncé « la fin de l’opération Barkhane » le 10 juin dernier. En réalité, l’opération est loin d’être terminée et les évolutions prévues ne signifient nullement l’abandon de la « guerre contre le terrorisme » au Sahel.

Le 10 juin dernier, en dernier point d’une conférence de presse tenue en amont des sommets du G7 et de l’OTAN, Emmanuel Macron a créé la surprise en annonçant « une transformation profonde de notre présence militaire au Sahel  », « un changement de modèle » qui « impliquera le passage à un nouveau cadre c’est-à-dire la fin de l’opération Barkhane en tant qu’opération extérieure  ». Le président français précisait néanmoins qu’il ne s’agissait nullement d’abandonner le terrain militaire : «  une opération d’appui, de soutien et de coopération aux armées des pays de la région » serait conservée tandis que « la lutte contre le terrorisme » devrait être prise en charge par « une alliance internationale ». Takuba, la coalition des forces spéciales européennes que la France peine à impulser, « sera le pilier de cette force de lutte contre le terrorisme » et « les armées françaises en seront évidemment la colonne vertébrale ». « Moins d’emprise, peut-être plus de muscle », résumait le ministre des Affaires étrangères sur BFMTV (18/06).

Pressions sur le Mali

La volonté française d’internationaliser la présence militaire et d’encadrer davantage les troupes africaines pour permettre une réduction des effectifs de Barkhane n’est ni neuve ni surprenante : c’est notamment la continuité des décisions prises au sommet du G5 de Pau en janvier 2020 (Billets d’Afrique, n°294, février 2020). Lors du sommet du G5 de N’Djamena, en février 2021, Macron avait renoncé aux arbitrages attendus et renvoyé l’« ajustement du dispositif » à une date ultérieure, à la demande des chefs d’État africains (Billets d’Afrique, n°305, mars 2021). C’est donc la date choisie par Macron pour faire ces dernières annonces de manière unilatérale qui devait surprendre, davantage que leur contenu, d’autant que les précisions concernant «  les modalités et le calendrier » étaient renvoyées « aux semaines à venir » sous prétexte de « consultations  » de ceux que l’on venait de placer publiquement devant le fait accompli. Il y avait manifestement urgence à mener une opération de communication, dont l’objectif était peut-être de relancer l’engagement de partenaires européens jugé trop timoré par Paris, mais surtout de faire à nouveau pression sur la junte militaire au pouvoir à Bamako, avec laquelle la France avait rompu la coopération militaire la semaine précédente. Si c’est « le coup d’État dans le coup d’État » des militaires maliens qui avait alors été invoqué – tardivement - comme prétexte (le colonel Assimi Goïta ayant démis le président de la transition Bah N’Daw avant de prendre sa place), ce sont surtout les projets maliens de négociation avec les groupes djihadistes, malgré le veto de Paris, qui crispent l’exécutif et les militaires français. Macron l’a d’ailleurs rappelé le 10 juin, assurant qu’il ne pouvait y avoir « des opérations conjointes avec un pouvoir qui discute avec des groupes qui, à côté, tirent sur nos enfants » (La coopération militaire avec le Mali a depuis été rétablie sans mention d’éventuelles garanties que la France aurait obtenues à ce sujet).

Partir pour mieux rester

Le 9 juillet, à l’occasion d’un nouveau sommet du G5-Sahel visiblement convoqué pour l’occasion, Macron a précisé les modalités prévues, qui avaient en grande partie été déjà distillées dans la presse les jours précédents : fermeture progressive des bases militaires les plus au nord du Mali, maintien de l’activité des forces spéciales françaises dans la Task Force Sabre pour « poursuivre la neutralisation et la désorganisation du haut commandement des deux organisations ennemies  » (respectivement affiliées à Al-Qaïda et à l’État islamique), renforcement de la force Takuba pour laquelle ont été sollicités « plusieurs autres partenaires non-européens  ». Parallèlement, les effectifs de Barkhane (5100 militaires aujourd’hui) doivent être progressivement réduits de moitié d’ici 2023. Les moyens aériens sont maintenus afin « d’intervenir rapidement au profit des forces alliées ». Les bombardements, par lesquels la France obtient une très grande majorité des « neutralisations  » de djihadistes, ne sont pas mentionnés, sans doute pour ne pas raviver le débat sur les victimes civiles qui se multiplient, mais il ne fait guère de doute qu’ils vont se poursuivre. Enfin le commandement du dispositif ne sera plus situé au Tchad (où la France conservera néanmoins des forces militaires), mais au Niger, Niamey faisant désormais figure d’allié privilégié de la France. Le nouveau président Mohamed Bazoum était d’ailleurs l’invité de l’Élysée au moment du sommet du G5, tandis que les autres chefs d’État y assistaient en visio.

Sans solution

Ces changements sont justifiés par les « succès que nous avons enregistrés », alors que la situation sécuritaire pour les populations civiles ne cesse de se dégrader et que l’influence des groupes djihadistes n’est pas remise en cause. Le président français invoque également la nécessité de s’adapter aux risques de « dissémination de la menace » dans les pays d’Afrique de l’Ouest, sans préciser en quoi le nouveau dispositif serait plus performant. En réalité, à l’approche de l’élection présidentielle en France, Macron ne pouvait se permettre de maintenir le statu quo qui aurait signé l’enlisement de Barkhane et l’échec de la stratégie française au Sahel. Pour autant, aucune rupture n’est annoncée dans la stratégie imposée aux États africains qui privilégie le tout sécuritaire au détriment de la protection des civils et de la recherche d’une solution politique négociée avec les groupes armés. Rien ne permet non plus de penser que le terreau sur lequel prospèrent les groupes djihadistes va se résorber : absence de l’État sur certains territoires délaissés ; conflits locaux, injustices et discriminations non pris en compte ; régimes corrompus et autoritaires soutenus de l’extérieur ; exactions des armées africaines alliées de Barkhane ; « dommages collatéraux » ou pratiques humiliantes d’une armée étrangère… Si la France compter alléger sa présence militaire de moitié, le problème, lui, reste entier.
Raphaël Granvaud

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 309 - juillet-août 2021
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