Survie

La France et le 
Mali à couteaux tirés ?

rédigé le 30 septembre 2021 (mis en ligne le 14 janvier 2022) - Raphaël Granvaud

La volonté des autorités maliennes de transition de faire appel à la société militaire russe Wagner a fait monter d’un cran les tensions entre la France et le Mali.

Après une période de grâce de six mois, au terme de laquelle le président Macron délivrait un satisfecit à la junte militaire qui a pris le pouvoir le 18 août 2020, les relations entre la France et le Mali se sont rapidement tendues. En cause : l’éviction du président de transition Bah N’Daw, adoubé par Macron, et la volonté du colonel Assimi Goïta, nouveau président auto-proclamé, de rouvrir les négociations avec le GSIM, coalition djihadiste dirigée par Iad Ag Ghali qui a fait allégeance à Al-Qaïda. Après une période de suspension, la coopération militaire franco-malienne dans la « guerre contre le terrorisme » avait repris, mais l’entrée en scène de la Russie vient à nouveau crisper les relations entre dirigeants français et maliens.
Le 13 septembre, l’agence Reuters révèle en effet, sur la base de « sept sources diplomatiques et sécuritaires », que les « autorités maliennes sont proches de conclure un accord avec la société militaire privée russe Wagner ». Cette dernière, qui n’a pas d’existence légale, est considérée comme le bras armé officieux du Kremlin et officie déjà en Centrafrique, où l’influence russe a supplanté – du moins pour l’instant – la traditionnelle ingérence militaire française. Selon certaines des sources de l’agence de presse, les négociations porteraient sur l’envoi de plusieurs centaines de mercenaires qui « seraient chargés de former les Forces armées maliennes (FAMa) et d’assurer la protection de certains hauts dirigeants maliens » en contrepartie de « six milliards de francs CFA (environ 9,15 millions d’euros) par mois pour ses services » ainsi que l’accès à trois gisements miniers d’or et de magnésium.

Wagner en plan B ?

Depuis, les autorités de transition au Mali assument publiquement leur volonté de diversifier les partenariats militaires, mais refusent de reconnaître explicitement la réalité d’un projet d’accord avec Wagner. Le porte-parole du gouvernement a par exemple réagi en affirmant à Reuters qu’il ne s’agissait que de « rumeurs », tandis que le ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, soutient que « l’opinion publique malienne est favorable à une coopération accrue avec la Russie vu la situation sécuritaire », tout en assurant : « aucune décision n’a été prise sur la nature de cette coopération ». Mais surtout, le Premier ministre malien de transition, Choguel Maïga, lie explicitement cette question aux récentes déclarations de Macron concernant l’évolution de la présence militaire française au Sahel. Début juin, le président français avait annoncé la fin prochaine de Barkhane « en tant qu’opération extérieure ». Les effectifs doivent en réalité être réduits de moitié et compensés par la montée en puissance de l’opération Takuba, regroupement de forces spéciales européennes (au moins sur le papier, car les volontaires ne se bousculent pas).
Alors que les soldats français quittent leurs bases du nord du Mali, Maïga interroge : « Si, de la même façon que certains partenaires ont décidé de quitter certaines localités, ils décident de partir demain, qu’est-ce qu’on fait ? […] On ne peut pas nous interdire d’acheter du matériel à un pays avec lequel on a un accord parce qu’un autre ne veut pas. On ne peut pas nous empêcher d’envoyer des gens être formés dans un pays donné parce qu’un autre pays ne veut pas. On est obligé de nous interroger : ne faut-il pas avoir de plan B ? » (Rfi.fr, 19/09).

Wagner ou Barkhane

Côté français, on a un peu joué la surprise et immédiatement affiché une franche hostilité, officiellement à l’égard des mercenaires de Wagner uniquement, mais en réalité devant la possible implication de la Russie au détriment de l’ancienne puissance coloniale. Le 15 septembre la ministre des Armées Florence Parly estimait ainsi devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale que cette signature constituerait un acte « extrêmement préoccupant et contradictoire, incohérent avec tout ce que nous avons entrepris depuis des années » (Rfi.fr, 15/09). Dans une interview à France Info du 16 septembre, Le Drian reconnaissait volontiers avoir « mis la pression aux Maliens » et les avoir prévenus que « la présence de Wagner (...) serait incompatible avec la présence internationale et européenne ». Toujours selon Reuters, la France, évidemment au courant des négociations maliennes, avait déjà commencé une « offensive diplomatique » visant à « dissuader la junte au pouvoir à Bamako de concrétiser ce rapprochement avec la Russie ».
Les Français ont ainsi demandé à leurs alliés européens, américains ou africains de faire pression sur les autorités maliennes, et se sont même adressés à la Russie : Macron aurait « directement abordé la question avec son homologue russe Vladimir Poutine ». Le point aurait été abordé au mois d’août « en marge d’une conversation sur le retour des talibans au pouvoir », confirme LeMonde.fr (15/09). Et, selon l’une des sources de Reuters, « le "Monsieur Afrique" du Quai d’Orsay, Christophe Bigot, s’est rendu le 8 septembre à Moscou pour un entretien avec Mikhaïl Bogdanov, représentant spécial du président Vladimir Poutine pour le Moyen-Orient et l’Afrique ».

Pressions du camp français

Le 19 septembre, Florence Parly en visite au Niger pour discuter de la réorganisation du dispositif Barkhane (la base aérienne française pourrait voir ses moyens augmenter et le Niger doit accueillir le commandement de l’opération Barkhane jusque-là situé au Tchad), a également déclaré, avant de se rendre au Mali, vouloir « clarifier les positions » et « réitérer des messages ». « Deux messages ont été martelés : la présence de mercenaires russes est une ligne rouge pour Paris, et si la junte fait fi de ces avertissements, cela aurait de lourdes conséquences », résume Rfi.fr (20/09). Le 17 septembre, le ministre des Affaires étrangères du Niger, Hassoumi Massaoudou, assurait que l’arrivée de Wagner au Mali pourrait remettre en cause la Coalition du G5 Sahel. Le 21, la ministre allemande de la Défense et le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, apportaient à leur tour leur soutien à la position française. Mais juste avant l’arrivée de Parly, le gouvernement malien a rétorqué « qu’il ne permettrait à aucun État de faire des choix à sa place » Rfi.fr (20/09).
Plus spectaculaire, le 25 septembre, le Premier ministre malien a accusé la France, depuis la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, d’exposer le Mali « à une espèce d’abandon en plein vol ». Choguel Maïga a notamment pointé la pratique – habituelle pour les autorités françaises – consistant à mettre les pays africains devant le fait accompli lorsqu’il a dénoncé le non-respect « du principe de consultation et de concertation qui doit être la règle entre partenaires privilégiés ». Il a déploré « l’annonce unilatérale du retrait de Barkhane » et la promesse floue « d’une transformation en Coalition internationale dont tous les contours ne sont pas encore connus, en tout cas pas connus de [son] pays ». Avant de conclure : « La nouvelle situation née de la fin de l’Opération Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli […] nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome ou avec d’autres partenaires » (francetvinfo.fr, 26/09). Devant la presse, il a également accusé les militaires français d’avoir délibérément laissé fuir Iyad Ag Ghaly et Hamadou Kouffa, les chefs djihadistes du GSIM, au moment de l’opération Serval en 2013, et de les avoir laissés se réfugier à Kidal, ville du nord du pays où l’armée française a réinstallé le MNLA (mouvement indépendantiste touarègue) (JeuneAfrique.com, 27/09)

Fureur française

Dans le même temps, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, confirmait en conférence de presse à l’ONU les négociations avec Wagner et raillait l’inefficacité de l’opération française au Sahel, appelant à « synchroniser l’action de l’Union européenne et de la Russie dans la lutte contre le terrorisme » (LeMonde.fr, 26/09). De quoi exacerber encore la colère des autorités françaises après les déclarations de Maïga. « C’est beaucoup d’hypocrisie, c’est beaucoup de mauvaise foi, beaucoup d’indécence », a asséné Parly le 27 septembre (Rfi.fr 28/09), accusant le Premier ministre malien de « s’essuyer les pieds sur le sang des soldats français » morts au Sahel en tenant ces propos le lendemain de la mort du 52e militaire français de Barkhane (LeMonde.fr, 27/09).
Le 29, le ministre malien de la Défense, le colonel Sadio Camara, considéré comme le principal artisan du rapprochement avec le Kremlin (il a suivi une formation d’un an au Collège militaire supérieur de Moscou), invitait quelques journalistes pour assister à la réception de quatre hélicoptères MI-171 achetés à la Russie et d’autres armes qui auraient été gracieusement « offertes ». « Je rappelle que le Premier ministre malien est l’enfant de deux coups d’État, si je puis dire. [...] Donc, la légitimité du gouvernement actuel est démocratiquement nulle […]. Ce qu’a dit le Premier ministre malien est inadmissible. C’est une honte. Et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement », a à son tour proclamé Macron le 30 septembre, en marge du dîner de clôture de la saison Africa 2020 à l’Élysée (Rfi.fr, 30/09). Un ton mesuré qui a légitimement provoqué des réactions indignées au Mali…
Le rappel par le président français de la très faible légitimité des autorités maliennes n’est par fortuit : un bras de fer est par ailleurs engagé sur la durée de la période de la transition. Depuis plusieurs semaines, le président Assimi Goïta et son Premier ministre préparent l’opinion à une prolongation de la période de transition et à un report des élections censées ramener un pouvoir démocratiquement élu, au motif que des assises nationales doivent être organisées fin décembre à Bamako. Si celles-ci sont effectivement l’occasion d’un débat national plus profond qu’une simple campagne électorale, on peut en comprendre l’intérêt, mais rien n’indique pour autant que les militaires soient très pressés de quitter le pouvoir… La CEDEAO (particulièrement certains pays comme le Niger) et la France se sont pour l’instant montrées intraitables sur le calendrier prévu et une délégation du Conseil de sécurité des Nations Unies en visite au Mali a également appuyé cette position le 23 octobre.
Le souci des autorités françaises n’est en réalité pas le retour des civils au pouvoir, sinon elles feraient preuve de la même intransigeance au Tchad : elles tablent simplement sur l’élection rapide d’un nouveau président plus respectueux des traditions françafricaines. Mais l’arrogance du président français semble pour l’instant contre-productive de ce point de vue, permettant aux autorités de transition d’endosser le costume de la résistance à l’impérialisme et de redorer leur blason aux yeux de la population malienne.
Raphaël Granvaud

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 311 - octobre 2021
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