Le sommet Afrique - France qui s’est tenu à Montpellier le 8 octobre devait montrer un changement dans la relation néo coloniale que la France entretient sans discontinuer avec l’Afrique subsaharienne francophone depuis plus de soixante ans. Il y a eu en effet un changement, en pire.
Ce n’était plus la rencontre du Président français entouré de ses vassaux qu’on a connue pendant des décennies, lors des vingt deux sommets France-Afrique, annuels de 1975 à 1988, puis bisannuels jusqu’en 2003. À partir de 2005, du 24ème au 27ème sommet, ceux-ci sont rebaptisés "Afrique - France" pour la forme, sans rien de changé sur le fond.
Pour le vingt huitième sommet Macron a innové, plus de chefs d’État. Ils n’ont jamais servi à rien qu’à poser pour la photo, pas un seul n’a jamais proféré une parole marquante et certains d’entre eux font vraiment trop mauvais genre. Macron a décidé de parler à la « jeunesse africaine ». En quoi Macron, président de la République française, est-il habilité à parler à la jeunesse africaine ? Quelle jeunesse africaine ? Une poignée d’individualités, choisies par les ambassades françaises et par Achille Mbembe, comparse de Macron dans l’événement. Devant une entreprise aussi fantaisiste on pouvait craindre le pire. On n’a pas été déçu. Le show a été grand guignolesque. Macron n’a pas cessé d’afficher le large sourire de supériorité paternelle qu’il prend quand il visite un jardin d’enfants, plein d’indulgence pour les dérangeantes naïvetés proférées par les bambins. Le clou a été quand une intervenante burkinabè a voulu mettre les pieds dans le plat de façon spectaculaire. Après une métaphore sur la « marmite sale » des relations franco-africaines dans laquelle la jeunesse du continent refuserait désormais de manger, qui a enchanté les médias français, elle a terminé sur un « À bon entendeur salut ! » du plus bel effet. Macron et Mbembe se tordaient de rire, le public aux anges applaudissait à tout rompre. Quelle belle farce !
Parler d’égal à égal avec un président français, Sankara l’a fait. C’était en novembre 1986. Mitterrand, au retour du sommet France-Afrique au Togo, auquel le président burkinabè n’avait pas assisté, s’est arrêté à Ouagadougou, sans doute pour tancer ce microbe insolent. Le discours de Sankara fut tel que Mitterrand laissa tomber son habituelle impassibilité pour tirer une effrayante gueule d’enterrement. Se faire administrer une leçon, là, dans ce pays de rien du tout - mais quelle leçon ! et par quel homme ! - porteur de tout l’honneur et la calme dignité de l’Afrique asservie. Mitterrand répliqua par des propos lourds de fureur cachée, d’avertissement voilé. Moins d’un an après Sankara était assassiné après quatre ans au pouvoir et on retomba dans les longues, nombreuses et calamiteuses années fançafricaines de Compaoré.
C’est de lever cette tragique malédiction qu’il est question dans le rapport colonial que la France entretient avec l’Afrique. Combattre les tout puissants intérêts qui s’y opposent n’est pas affaire de bavardage mondain et de plaisanteries déplacées. Les enjeux sont titanesques. L’affrontement se fera entre les forces mécaniques de l’argent et les forces humaines des pauvres. Si c’est un conte pour enfants c’est celui, instructif, de Macron, loup déguisé en mère-grand avec son sourire carnassier.
Odile Tobner