Survie

leçon malienne

rédigé le 1er février 2022 (mis en ligne le 1er mai 2022) - Raphaël Granvaud

Coup de tonnerre en Françafrique ! Après plusieurs semaines de tensions croissantes et d’escalade verbale, les autorités maliennes ont exigé début février le départ de l’ambassadeur de France (cf. pages 4 et 5). Alors que nous bouclons ce numéro, on apprend que le Premier ministre, Jean Castex, annonce l’organisation prochaine d’un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la présence militaire française au Mali et l’opération Barkhane.
Peut-on enfin espérer que le bilan calamiteux de presque dix ans de « guerre contre le terrorisme » au Sahel soit enfin établi ? Rien n’est moins sûr. La crise diplomatique a pour l’instant surtout déclenché une surenchère de hargne nationaliste de la part des candidat·e·s de droite et d’extrême droite à l’élection présidentielle française, exigeant que soit lavée « l’humiliation » subie par notre pays. Pour l’anecdote, Valérie Pécresse et Marine Le Pen ont même exigé le renvoi immédiat de l’ambassadeur du Mali, dont le poste est pourtant vacant depuis deux ans. Le dernier ambassadeur en date avait été rappelé en février 2020 après avoir osé mettre en cause les « débordements » de certains militaires français lors d’une audition au Sénat. Les parlementaires français·e·s pourraient aussi se souvenir qu’en violation de la Constitution amendée en 2008, la prolongation de l’opération Barkhane au-delà de quatre mois n’a jamais fait l’objet d’un vote au parlement et n’a donné lieu qu’à un seul rapport parlementaire. Plus largement, il serait temps que la politique africaine de la France soit réellement mise en débat et devienne un véritable thème de la campagne pour l’élection présidentielle.
Le cas du Mali est exemplaire. Officiellement, ce sont « la confiscation inacceptable » du pouvoir par la junte militaire et le risque de voir la société militaire privée russe Wagner commettre des exactions au Mali qui motivent l’intransigeance des autorités françaises. Ces dernières sont pourtant toujours restées très discrètes sur les centaines de victimes civiles provoquées par les armées africaines alliées de Barkhane au Mali, au Niger et au Burkina dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme ». Ces mêmes autorités trouvent également parfaitement légitimes des régimes militaires au Tchad ou en Égypte, qui ne survivent pourtant que par la répression la plus féroce et bénéficient d’infiniment moins de soutien populaire que les autorités maliennes, bien aidées en cela par l’arrogance de la diplomatie française. En réalité, il y a crime de lèse-majesté : la junte malienne a osé contester l’ingérence française et, après la Centrafrique, a ouvert à l’influence russe les portes de ce que la France considère toujours comme son « pré carré ».
« Cette crise avec le Mali sera peut-être l’occasion pour l’exécutif français de prendre conscience que sa manière de faire et d’être en Afrique n’est plus possible », espère la chercheuse à l’Iris Caroline Roussy dans le journal La Croix (01/02) : « Sa condescendance, son incohérence, sa verticalité, l’infantilisation dans laquelle elle maintient ses interlocuteurs africains ne sont plus admis par les nouvelles générations africaines. La France n’est pas chez elle en Afrique. » On croit assez peu à une prise de conscience d’Emmanuel Macron, Jean-Yves Le Drian ou Florence Parly en la matière, mais peut-être que les citoyenn.e.s français.e.s pourraient
 enfin commencer à leur demander des comptes à ce 
sujet…
Raphaël Granvaud

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 314 - février 2022
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