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Burkina Faso : le retour des coups d’État ?

rédigé le 1er mai 2022 (mis en ligne le 5 août 2022) - Sidi Sidibé

Le coup d’État du 24 janvier dernier au Burkina Faso a rappelé que l’histoire politique de ce pays est intimement liée aux différents coups d’État qui s’y sont déroulés depuis son indépendance. L’échec, en septembre 2015, de la tentative de putsch du général Diendéré laissait pourtant penser que le peuple burkinabè n’acceptait plus cette « culture du coup d’État ». Dès lors, comment s’explique la chute du président Roch Christian Kaboré ?

La succession de coups d’États que le Burkina Faso a connu depuis 60 ans est impressionnante, tout comme l’est leur acceptation tacite par les populations, en dépit des états d’exception qu’ils imposaient avec leur corollaire de privation de droits et de libertés. En effet, à chaque coup d’État, les populations se sont accommodées, sans jamais s’opposer frontalement, dans des contextes parfois difficiles. Par ailleurs la répétition de ces coups d’État a développé au sein de l’armée une inclination à s’immiscer dans le champ politique et à s’emparer du pouvoir d’État. La conjugaison de ces deux éléments a créé ce que l’on pourrait qualifier de « culture du coup d’État ».

Champion des coups d’État

Du 11 décembre 1959, date de la proclamation de la première République de Haute Volta, au 15 octobre 1987 date de la prise de pouvoir par le capitaine Blaise Compaoré, se sont succédé différents régimes politiques parfois nés de mouvements de rue mais très souvent de coups d’État militaires, ou plus rarement de la conjonction de l’un et l’autre.
La première République, le régime présidentialiste de Maurice Yaméogo installé en 1960, s’est vue emportée par un vaste mouvement populaire né le 3 janvier 1966. Suite à ces troubles, le pouvoir fut confié aux militaires qui ne l’avaient en rien recherché. C’est le premier coup d’État militaire auquel va succéder plusieurs autres. Avant sa chute, et contrairement à ses homologues du Conseil de l’Entente (Côte d’Ivoire, Niger, Togo, Bénin), le président Yaméogo avait refusé en 1961 les accords secrets de coopération militaire qui étaient à l’époque de la seule initiative de la France. Ces accords prévoyaient entre autres : la défense intérieure et extérieure des États membres, l’installation de bases militaires françaises, une coopération étroite avec la France ou du moins une préemption de la France sur les hydrocarbures et les produits stratégiques tels que les terres rares et les minerais composés, ainsi qu’une politique de soutien logistique. Le Burkina Faso, qui bénéficiait d’un regard et d’un intérêt particulier de la part de la France en raison de son caractère enclavé et de sa capacité à pourvoir en soldats, ne signa qu’un accord d’assistance militaire technique (AMT). Ceci eut pour effet de rendre difficiles les relations entre Ouagadougou et Paris, qui ne voyait pas d’un bon œil le nationalisme et le désir ardent de souveraineté des dirigeants burkinabè de l’époque, même si cet accord fut renforcé en 1964 par des dispositions particulières et par l’initiative d’un soutien logistique. Au lendemain de la signature de cet accord en 1961, le Burkina Faso exigea le départ dans les deux mois des Français de la base militaire de Bobo-Dioulasso et resta inflexible à toute négociation jusqu’à leur départ. Son ministre de la Défense Bamina G. Nébié fut considéré à l’époque comme un anti-Français aux accents révolutionnaires alors même qu’il ne s’agissait que d’une quête de souveraineté. On peut légitimement se demander aujourd’hui si le président Yaméogo aurait été renversé s’il avait adhéré à la politique stratégique du général De Gaulle.
La proclamation de la IIe République en 1970 par le général Sangoulé Lamizana n’empêche nullement la poursuite de l’instabilité politique. La décennie suivante voit s’opérer quatre coups d’États : celui dirigé par le colonel Saye Zerbo le 25 novembre 1980, puis celui du 7 novembre 1982, dirigé par le commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, ensuite celui du 3 août 1983 qui porta le capitaine Thomas Sankara à la tête du Conseil National de la Révolution (CNR), sous lequel le pays fut rebaptisé le 4 août 1984 en Burkina Faso, et enfin le coup d’État du 15 octobre 1987 dirigé par le capitaine Blaise Compaoré et qui fut marqué par l’assassinat de Thomas Sankara et l’avènement du Front Populaire (1987-1991) qui se définissait comme une action de rectification des manquements de la Révolution.
Si le régime du commandant Jean-Baptiste Ouédraogo fut emporté par des rivalités entre militaires, celui de Thomas Sankara fut victime de puissances étrangères hostiles à toute idéologie révolutionnaire dans la sous-région. Les revendications de souveraineté de Thomas Sankara allaient en effet beaucoup plus loin que tout ce que la France avait connu de la part des dirigeants burkinabè et elles s’inscrivaient dans le droit fil d’une véritable révolution qui voulait radicalement tourner le dos au passé colonial. Beaucoup de Burkinabè ont toujours vu la main de François Mitterrand mais aussi celle de Houphouët Boigny derrière l’assassinat de Thomas Sankara. Celles et ceux qui réclamaient justice ont malheureusement été déçus de constater que le verdict rendu le 6 avril 2022 dans le procès de cet assassinat ne lève aucunement ce coin du voile.
Par ailleurs Blaise Compaoré devint au fur et mesure de son long règne de 27 ans non seulement l’homme fort de la sous-région ouest-africaine mais aussi un pilier central de l’empire françafricain jusqu’à sa chute inattendue à la suite de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Cette insurrection s’inscrivait dans la logique de ces années de luttes qu’avait connues le pays, renforçant ainsi la singularité historique et continentale du peuple burkinabè. Le président Compaoré a certes été contraint à démissionner, mais son exfiltration a été orchestrée par la France et le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) qu’il avait lui-même créé en marge de l’armée nationale.

2015, nouveau départ ?

Après la chute de Blaise Compaoré, le pays s’est retrouvé avec une transition bicéphale qui fut très loin d’être un fleuve tranquille, avec un Président civil (Michel Kafando) et un premier ministre militaire (le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida). Première difficulté : la loi Chériff Sy votée par le Conseil National de la Transition (CNT) excluait des élections à venir ceux qui avaient soutenu le projet de modification de l’article 37 de la Constitution limitant le nombre de mandats présidentiels. Cette loi a failli engendrer une nouvelle instabilité politique et des troubles sociaux tant les soupçons de manipulation pour écarter des rivaux dans la course au pouvoir étaient importants. L’on y voyait une manœuvre pour éliminer les caciques du CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès, parti de Blaise Compaoré) notamment Djibril Bassolé, ou encore Gilbert Noël Ouédraogo du RDA (Rassemblement Démocratique Africain), et frayer la voie au MPP (Mouvement du Peuple pour le Progrès) jusqu’au palais présidentiel de Kosyam. Le MPP est ce parti né en janvier 2014 en pleine contestation du projet de modification par Compaoré de l’article 37, sous l’impulsion de Roch Christian Kaboré, qui occupa sous l’ère Compaoré plusieurs postes ministériels (transports et communications, finances, ministre d’État, Premier ministre, puis président de l’Assemblée), de Salifou Diallo, cheville ouvrière de toute la galaxie Compaoré, qui occupa également plusieurs postes ministériels dont portefeuille de l’agriculture, et de Simon Compaoré (pas de lien avec Blaise), maire de Ouagadougou jusqu’en 2012.
La pression constante de la société civile pour influencer certaines décisions de la transition constituait une seconde difficulté, tout comme les prises en otages de conseils de ministres par des éléments du RSP.
La transition a failli être définitivement enterrée avec le coup d’État du 16 septembre 2015, perpétré par des éléments du RSP, avec à leur tête le général Gilbert Diendéré, alors même que l’on s’apprêtait à ouvrir les campagnes électorales (présidentielle et législatives). Mais le peuple s’est mobilisé pour dire non et aux putschistes et aux commissaires de la CEDEAO venus tenter une négociation. Il parvint ainsi à déjouer ce coup d’État avec la libération du Président de la transition et de son premier ministre. Le RSP fut dissout et les généraux Gilbert Diendéré et Djibril Bassolé furent arrêtés, avec d’autres personnalités.
La passivité de la population burkinabè face aux coups d’État a donc spectaculairement pris fin en septembre 2015 à l’occasion du putsch de ceux qui se présentaient comme le Conseil National de la Démocratie (CND). Beaucoup de Burkinabè ont bravé tous les dangers jusqu’au sacrifice ultime. On pouvait alors penser que ce coup d’État serait le dernier du genre en raison de la maturité politique dont la population avait fait preuve depuis les soubresauts de la contestation du régime de Blaise Compaoré jusqu’à sa chute le 31 octobre 2014 : l’arrestation des putschistes de 2015 ferait jurisprudence en annihilant cette culture du coup d’État.

24 janvier 2022, le retour

Mais voilà que le Président Roch Christian Kaboré, élu en 2015 et réélu en 2020, a lui aussi été renversé par un nouveau coup d’État le 24 janvier 2022, avec l’approbation de la rue et dans le mutisme général de son propre camp. Aucune résistance particulière n’a eu lieu.En plus de la mal gouvernance qui lui était reprochée, c’est surtout le manque de résultat sur la scène sécuritaire eu égard au terrorisme qui sévit de plus en plus, qui a fait d’une simple mutinerie au sein de l’armée, un coup d’État applaudi par la rue. Si cela est un échec pour le Président Kaboré, c’est aussi un revers pour les forces de Barkhane.

Le lieutenant-colonel Cyprien Kaboré lit « l’acte fondamental du MPSR » (Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration) à la RTB le 31/01/2022.


Depuis l’attaque terroriste meurtrière d’Inata le 14 novembre 2021 qui a fait 57 victimes dont 53 gendarmes, la colère de la rue n’avait fait que s’intensifier avec de plus en plus d’appels à la démission du chef de l’État. Des manquements graves sur fond de corruption au sein de l’armée avaient été révélés semant encore plus de doute quant à la capacité des autorités à faire face à ces attaques terroristes qui s’intensifient. Même si le Président avait promis des actions imminentes : lutte contre la corruption, lutte contre la mauvaise gouvernance, gouvernement resserré, le plus attendu était le rapport d’enquête sur le drame d’Inata, que le Président avait commandé et dont il a refusé la version initiale pour insuffisance. À ce jour la deuxième version qui lui a été remise n’a toujours pas été rendue publique.
C’est dans ce contexte que les marches de protestation et d’appel à la démission de Kaboré ont été interdites et matées et que certains leaders d’organisation civiles qui en étaient les organisateurs ont été arrêtés. Par ailleurs internet (les données mobiles) a été coupé plusieurs jours pour interdire les accès aux réseaux sociaux, notamment Facebook et WhatsApp.
Même si la manifestation du 22 janvier 2022 a plus ou moins été maîtrisée avec des arrestations comme pendant les précédentes, les habitants des quartiers de Ouagadougou proches du camp militaire Lamizana ont été réveillés par des tirs nourris en provenance du camp le 23 janvier. Et tout de suite la population a apporté son adhésion au coup d’État, aussi bien dans les rues que sur les réseaux sociaux. Même si le gouvernement a tenté de reprendre la main par plusieurs communiqués et une allocution télévisée du ministre de la Défense pour bien faire comprendre qu’il s’agissait d’une mutinerie, d’un simple mouvement d’humeur dans l’armée, il était déjà trop tard. La nuit du 23 au 24 janvier a vu la chute du régime avec l’arrestation du Président et de quelques proches et membres du gouvernement. Le Burkina Faso connaît donc encore un nouveau régime militaire, avec pour chef le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, un ancien membre de l’ex-RSP qu’il avait cependant quitté après les mutineries de 2011.
Comme au Mali il y a peu, des voix se lèvent aujourd’hui au Burkina pour exiger des nouvelles autorités une plus grande coopération militaire avec la Russie, avec le sentiment que la France a failli dans sa mission. Des conférences de presse et des marches s’organisent dans ce sens. Cela facilite évidemment le travail de tous les prédateurs qui ne cherchent qu’à faire main basse sur les ressources de ce pays ou dans une moindre mesure à renforcer leur influence géostratégique.
La question qu’on peut se poser aujourd’hui est la suivante. Ce retour en arrière lui-même n’est-il pas une victoire du terrorisme ? Que sera donc la suite si la solution à ce problème sécuritaire venait à tarder ?
Néanmoins, avec la singularité de leur histoire les Burkinabè se tourneront peut-être vers les idées de Maurice Yaméogo ou de celles de Thomas Sankara en ce qui concerne les questions de Défense Nationale, à savoir la défense du Burkina par les Burkinabè.
Sidi Sidibé

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 317 - mai 2022
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