« Il y a un patriotisme fort dans notre pays et c’est une bonne nouvelle, avec en plus une forte résilience de la résilience de la Nation française. » Résilience face à quoi ? Le nouveau ministre des Armées Sébastien Lecornu ne le dit pas, ce 14 juillet au micro de BFM-TV : on ne saura pas par quoi la Nation française serait menacée. Tout au plus sait-on que le patriotisme fort est une bonne nouvelle. Il semble flotter ce jour-là un parfum de IIIème République.
Quelques minutes plus tard, Emmanuel Macron lâche en effet, au détour de son interview télévisée dans les jardins de l’Élysée où il évoque une réforme à venir de l’assurance chômage, qu’« une nation, c’est un tout organique ». Ce concept est directement issu des courants nationalistes de la fin du XIXème siècle, comme le pointe l’historien Nicolas Lebourg sur Liberation.fr (15/07) : « Pour l’extrême-droite, les nations sont des corps qui peuvent mourir et qu’il faut préserver de la division et de l’extérieur. » Cet emprunt ne signifie pas nécessairement que le président adhère à une conception organiciste de la nation, explique le chercheur, mais il reprend cette vision du monde de l’extrême-droite afin de servir son propre projet politique.
Cet emprunt aux vieilles thèses nationalistes fait écho au mini-événement qui vient de conclure le défilé sur les Champs Élysées. La chanteuse Candice Parise et l’orchestre des sapeurspompiers de Paris (qui reste officiellement une unité de l’armée de Terre placée sous l’autorité du préfet de police) y ont interprêté « La Marseillaise » puis un titre inédit, « F.R.A.N.C.E », chaque lettre servant dans le refrain à célébrer les vertus supposées du pays de « Hugo et De Gaulle », dit la chanson : Fraternité, Résistances, Amitié, etc. La prestation, empruntant à la fois aux codes show télévisé et de la démonstration de discipline militaire, « a dépoussiéré le défilé » (Le Parisien) en chantant « la gloire de la France » (Le Point) et en rendant un « vibrant hommage » au pays (Midi Libre).
Le texte ne fait pas dans la nuance : « France. Tes victoires flottent toujours plus haut. (…) Ta patrie est partout là où rayonne la France ». De l’impérialisme mis en musique, en somme. Mais ce n’est que le début, Candice Parise chante d’un air pénétré : « C’est une arme qui vient nous sauver jusqu’à périr / Dans le feu, dans les flammes, elle défend Notre-Dame / Et se donne et se bat pour les peuples en souffrance / Tes médailles n’ont jamais de revers ». Une chansonnette bienvenue, comme le sujet d’éducation morale et civique du brevet professionnel (lire ci-contre), pour faire oublier que l’armée française est en mauvaise posture au Sahel, critiquée au point de devoir quitter le Mali après neuf années d’opérations extérieures (Serval puis Barkhane) qui se soldent par une explosion du « sentiment anti-français ». De quoi donner envie au ministère des Armées de multiplier les opérations de propagande pour redorer son blason, nécessairement adossé à celui de la Nation.
Ainsi, si les pompiers de Paris et Candice Parise ont rendu hommage à quelque chose, c’est bien aux origines même du défilé militaire du 14 juillet. Instauré en 1880 sur l’hippodrome de Longchamp, il résulte de la volonté des dirigeants de la IIIème République de galvaniser le patriotisme des Français pour effacer la défaite de 1870 face à la Prusse et les préparer moralement à la reconquête de l’Alsace et la Moselle. « La Marseillaise » vient alors de redevenir l’hymne national (en 1879, après l’avoir déjà été au début du siècle), le 14 juillet est choisi comme journée de fête nationale et « la revue de Longchamp » devient le rendez-vous annuel des Parisiens et Parisiennes pour acclamer les militaires. Mobilisant les symboles révolutionnaires, la bourgeoisie républicaine cherche alors à souder le peuple derrière son armée. Et les nationalistes de l’époque ne tardent pas à en tirer profit...