Survie

Faim de Françafrique

rédigé le 3 mars 2023 (mis en ligne le 9 mai 2023) - Thomas Noirot

Répétée tel un mantra depuis la fin des années 2000, l’affirmation de la « fin de la Françafrique » a encore inspiré pléthore de débats fin février, après le discours d’Emmanuel Macron. La Françafrique n’en finit décidément pas de disparaitre. Alors même qu’une autocritique dérangeante émergeait en France à la fin des années 1990, le refrain d’une vulgate passéiste a été repris en chœur par une multitude d’observateurs politiques, médiatiques et académiques. Les termes de « Chinafrique » d’abord, de « Russafrique » ensuite, sont apparus dans le débat public français avant même que celui-ci n’ait lieu au sujet de la Françafrique. Il ne s’agirait en somme que de comparer l’évolution récente des relations sino-africaines, russo-africaines et franco-africaines, en alignant des chiffres sur les parts de marchés ou sur le nombre de militaires présents : à ce jeu-là, il devient aisé de percevoir des inflexions à ériger en ruptures, des changements à instituer en nouveautés majeures.
Ces chiffres sont évidemment importants, des évolutions sont notables. Pour autant, la nature de la relation change-t-elle ? Des pans institutionnels de l’ingérence française en Afrique se sont banalisés dans les esprits, notamment à la suite de multiples annonces de réformes : mais que leur acceptation soit totale en France ne signifie pas qu’ils n’existent plus. Publié en 2021 au Seuil, l’ouvrage collectif L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique montre que ce système de domination mobilisant ces institutions officielles et des mécanismes occultes, parfois illégaux, n’a cessé d’évoluer au cours des dernières décennies pour mieux perdurer. Mieux : que ce qui a amené à forger le néologisme de Françafrique dès 1945 est justement la perception de la nécessité d’adapter le colonialisme français pour lui permettre de survivre aux grands bouleversements du monde.
Ce système s’accompagne d’une idéologie si communément partagée d’une France généreuse et « amie de l’Afrique » que l’expression d’un rejet populaire de sa politique africaine mène à une sorte de sidération à Paris : on assisterait à la diffusion d’un « sentiment anti-français » dans une population ingrate et naïve au regard des impérialismes concurrents. Le déploiement de mercenaires du groupe russe Wagner dans des pays où l’armée française se sentait chez elle (Mali, Centrafrique, Burkina Faso), serait d’ailleurs la preuve que la « disgrâce » qui frappe la France est avant tout le fruit de viles manœuvres de désinformation menées par Moscou et ses relais africains grassement rémunérés.
Dans un article paru le 8 février sur le site Afrique XXI, le chercheur indépendant Olivier Blamangin dresse un parallèle saisissant entre le vieux « syndrome de Fachoda » et ce qu’il nomme désormais le « complexe de Bangui ». Le premier, du nom de cette ville soudanaise où l’armée française reçut l’ordre de se retirer sans combattre face aux troupes coloniales britanniques en 1898, désigne l’obsession de la concurrence anglo-saxonne qui imprégna les militaires et structura la politique africaine de la France durant plus d’un siècle. Le second, qui fait référence à l’arrivée des Russes en Centrafrique en 2018, permet de saisir la hantise qui a récemment gagné tous les acteurs de la politique africaine de la France et qui structure désormais intégralement celle-ci.
À partir de cette « nouvelle » concurrence russe, et surtout de ce vieux réflexe, se cristallise un argumentaire de « déclin » de la France qui magnifie le rayonnement des décennies précédentes, édulcore incidemment les crimes du passé et justifie opportunément les compromissions présentes. L’affirmation répétée de la fin de la Françafrique, qui a pris force de vérité incontestable chez l’immense tribu des commentateurs médiatiques, pousse ces derniers à affirmer sans même s’en rendre compte un remarquable appétit pour sa perpétuation.
Thomas Noirot

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 326 - mars 2023
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