Les indépendantistes prennent la tête de la Polynésie française : ils ont en effet largement remporté les élections territoriales de ce mois d’avril. Une situation inédite, et un coup de semonce pour Paris.
L’affaire a fait peu de bruit dans les médias hexagonaux – un traitement a minima habituel lorsqu’il s’agit des outre-mers – mais la Polynésie française est en train de vivre un bouleversement politique majeur. Les indépendantistes du Tavini Huiraatira (« Servir le peuple » en tahitien) ont remporté haut la main les élections territoriales des 16 et 30 avril derniers, récoltant au second tour près de 45 % des suffrages exprimés. Un score exceptionnel pour ce parti qui lors des précédents scrutins n’avait que rarement dépassé les 30 % et qui jusqu’ici n’était arrivé aux affaires que par le biais de coalitions politiques fragiles et pour de courtes périodes. Le Tavini a devancé notamment de près de six points son principal concurrent, le Tapura huiraatira d’Édouard Fritch, président de la Polynésie française depuis 2014. Le système électoral local lui assure ainsi une confortable majorité à l’assemblée, avec 38 sièges sur 57.
Aussi historique soit-il, ce résultat n’est pas une réelle surprise : après avoir envoyé pour la première fois un député à l’Assemblée nationale en 2017, le Tavini avait déjà réalisé un grand chelem (inattendu celui-là) aux législatives l’an passé, l’emportant dans les trois circonscriptions polynésiennes. Les élections territoriales n’ont donc fait que confirmer cette montée en puissance d’indépendantistes désormais en position de force.
Cette dernière ne signifie pas pour autant que les Polynésiens seraient tout proches de virer majoritairement indépendantistes. Ces victoires successives sont à lire d’abord comme l’échec d’une droite locale à bout de souffle après avoir dominé la vie politique quasiment sans discontinuer depuis les années 1980. Sous la direction d’abord de l’inévitable Gaston Flosse, puis de son dauphin Édouard Fritch, qui avait fini par rompre avec cet encombrant mentor, vieillissant et multi-condamné. Les deux ex-compères ont tout de même tenté, un peu en catastrophe, une opération réconciliation lors de l’entre-deux-tours de ces territoriales afin d’éviter la défaite. En vain.
Oscar Temaru, fondateur du Tavini Huiraatira et figure historique de la lutte d’indépendance, n’a plus la force, à 78 ans, de redevenir président de la Polynésie française. Il a donc passé la main à Moetai Brotherson, élu à la tête de la collectivité par la nouvelle assemblée le 12 mai. La progression du Tavini doit sans doute beaucoup à ce quinquagénaire imposant (à relire : son entretien dans Billets d’Afrique n°319, été 2022). Lui qui fut le premier député du parti jouit d’une popularité qui va bien au-delà du camp indépendantiste comme le prouve sa réélection en 2022 avec plus de 60 % des voix. Il représente, au moins en apparence, une frange moins radicale du Tavini, répétant que la Polynésie ne pourra être prête pour la pleine souveraineté avant dix à quinze ans et que celle-ci passera quoi qu’il en soit par un référendum d’autodétermination du peuple polynésien.
Cette victoire indépendantiste n’en est pas moins une claque pour le pouvoir macroniste, allié du Tapura de Fritch, et plus largement pour l’État français. Celui-ci va devoir désormais composer avec des souverainistes aux affaires dans ses deux grandes collectivités du Pacifique sud, la Polynésie donc et la Nouvelle-Calédonie. Le Tavini et le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) entretiennent d’ailleurs d’étroites relations depuis longtemps. Roch Wamytan, président du Congrès calédonien, était ainsi présent à Papeete lors de la mise en place de la nouvelle assemblée, affirmant son souhait de « travailler ensemble pour faire avancer notre projet politique : bien sûr l’indépendance ».
Comme un symbole, cette année marque le dixième anniversaire de la réinscription de la Polynésie française sur la liste des territoires non autonomes des Nations unies – une réinscription arrachée lors du dernier passage d’Oscar Temaru et du Tavini à la tête de la collectivité. Jusqu’à présent, la France avait répondu par le mépris, boudant systématiquement les réunions sur le sujet. Une posture difficilement tenable désormais. Va-t-on enfin assister au lancement d’un véritable processus de décolonisation de cet immense territoire situé à quelque 17 000 kilomètres de Paris ? La question se pose aujourd’hui avec force.
Benoît Godin