Entre crise de l’eau, violences et difficultés d’accès aux soins, les conditions de vie des Mahorais·e·s se sont dégradées, et l’opération Wuambushu débutée en avril n’y a rien changé - quand elle n’a pas aggravé la situation.
Le 8 décembre dernier, la Première ministre Élisabeth Borne faisait un crochet par Mayotte pour y évoquer les problèmes d’accès à l’eau et de sécurité qui se sont fortement aggravés ces derniers mois. À cette occasion, elle a réaffirmé le soutien de l’État à la population mahoraise et a annoncé une opération de relogement des personnes expulsées lors de l’opération Wuambushu, qui a entraîné la destruction de plusieurs bidonvilles – les bangas, où vivent 40 % des habitant·e·s de Mayotte.
Si les autorités avaient pu se gargariser d’une accalmie de la situation sécuritaire à l’apogée de l’opération, elle n’a été que passagère et n’a pas réglé les problèmes de fond qui touchent l’île (voir Billets d’Afrique n°328, mai 2023). Depuis, la violence, principalement liée à des affrontements entre bandes rivales de jeunes, a repris de plus belle, entraînant rien qu’au mois de décembre la mort de trois personnes en une dizaine de jours.
Pour certains, à l’instar de la députée Estelle Youssouffa (LIOT), c’est le signe que Wuambushu n’est pas allée assez loin – comme si la solution à l’insécurité était encore un peu plus de violence coloniale. Mais comme l’explique Bruno Dezile, secrétaire départemental de la CGT éducation à Mayotte, l’opération n’a été qu’un coup de force irréfléchi (Libération, 24/12/23) : « Il faut accompagner ces personnes [dont les logements ont été détruits], régler l’accès à la santé, à l’éducation… Aider cette jeunesse qui est laissée depuis des années sans solutions, qu’on maltraite, et qui trouve en la violence son seul moyen d’expression. »
En réalité, c’est même Wuambushu qui aurait pu attiser ces vagues de violence : d’après un jeune anonyme témoignant pour Le Journal de Mayotte (06/12/23), beaucoup des jeunes participant aux violences sont des mineurs nés à Mayotte, donc français, dont les parents ont été expulsés vers les Comores et qui se retrouvent sans famille.
Un autre fléau touche l’île depuis cet été : de graves pénuries d’eau. Pour leur approvisionnement, les habitant·e·s de Mayotte dépendent à 80 % des eaux de surface alimentées par les précipitations (rivières et retenues collinaires), le reste étant fourni par l’usine de dessalement de Petite-Terre. Mais à cause du changement climatique, la saison des pluies est réduite à trois mois, de janvier à mars, alors qu’elle commençait avant en novembre. Celle de 2023 n’a pas été suffisante pour que les réserves d’eau mahoraises puissent subvenir aux besoins annuels de la population, qui ont augmenté ces dernières décennies avec le développement industriel et démographique de l’île. En fin d’année, ces réserves étaient presque à sec.
En conséquence, les autorités ont dû imposer des restrictions, avec 18 heures d’accès à l’eau tous les trois jours par zone géographique, et les établissements scolaires ont fermé, car ils ne peuvent accueillir les élèves dans des conditions d’hygiène décentes. Tout en assurant que l’eau qui sort des canalisations est potable, l’agence régionale de santé (ARS) conseille aux Mahorais·e·s de la faire bouillir pendant cinq minutes avant de l’utiliser – une impossibilité pour beaucoup d’entre eux, notamment celles et ceux qui vivent dans les bidonvilles.
Interrogé par Mediapart (06/11/23), Anthony Bulteau, coordonnateur à Mayotte de l’ONG Solidarités International, estime que « la réaction des autorités est trop tardive. On sait depuis le printemps que les ressources ne sont pas suffisantes. L’opération Wuambushu a invisibilisé le problème de l’eau. » Si depuis le 20 novembre, l’État distribue gratuitement des bouteilles d’eau, les quantités sont loin d’être suffisantes, et certaines personnes n’y ont pas accès, par exemple parce qu’elles travaillent pendant la distribution ou parce qu’elles sont en situation irrégulière et ne veulent pas entrer en contact avec les autorités.
Cette crise de l’eau a eu des effets sur la santé de la population mahoraise (aggravation de l’épidémie de gastro-entérite, déshydratation sévère chez les enfants, infections urinaires et insuffisances rénales), alors même que le système de santé de l’île est déjà en tension permanente. En 2019, il n’y avait que 54 médecins généralistes, 36 spécialistes et 5 dentistes pour 100 000 habitant·e·s (contre respectivement 139, 177 et 64 en métropole), et il n’y a pas d’aide médicale d’État à Mayotte.
Les soignant·e·s ont également très mal vécu l’opération Wuambushu (Mediapart, 29/10/23), au cours de laquelle la police interpellait les personnes en situation irrégulière à l’extérieur des hôpitaux tandis qu’un collectif de femmes mahoraises a voulu empêcher les « clandestins » de se faire soigner. Ces actions ont causé des retards de soins qu’il a ensuite fallu traiter. Enfin, les violences compliquent également l’accès aux soins et le travail du Samu, entraînant parfois la mort de personnes qui n’ont pas pu recevoir l’assistance adaptée à temps.
Lors de son déplacement, Élisabeth Borne a annoncé élargir les droits à la santé, en ouvrant la complémentaire santé solidaire aux Mahorais·e·s dès le 1er janvier. Mais de l’autre main, l’État a déployé 80 gendarmes mobiles supplémentaires, qui jusqu’ici n’ont su que noyer de gaz lacrymogènes les bidonvilles de l’île (Mediapart, 09/12/23), sans rien améliorer au quotidien de ses habitant·e·s.
_ Nicolas Butor