Début février, le président Macron a nommé Jean-Marie Bockel « envoyé personnel » pour l’Afrique. Un choix qui se veut évidemment symbolique. En 2008, l’ancien secrétaire d’État à la coopération de Nicolas Sarkozy avait déclaré dans une interview au Monde qu’il souhaitait signer « l’acte de décès » d’une Françafrique, qu’il jugeait « moribonde ». Il avait été rapidement débarqué après avoir critiqué à demi-mot le régime Bongo. Si l’on ne saurait dénier à Bockel la volonté d’avoir voulu en finir avec les « réseaux parallèles » et la corruption qu’il dénonçait, son angélisme persistant à l’égard de Sarkozy et de son entourage faisait – au mieux – sourire. Et surtout, il n’a jamais été un adversaire de la raison d’État – il l’a dit – ni animé d’une volonté de liquider l’influence et les intérêts français en Afrique. Au contraire, le rapport qu’il avait coécrit en 2013 sur « la place de la France dans une Afrique convoitée » visait, comme le récent rapport des député·e·s Bruno Fuchs (Modem) et Michèle Tabarot (cf. article de ce même numéro), à les consolider par une réforme cosmétique de la politique africaine de la France. Jean-Marie Bockel se voit aujourd’hui confier la charge d’aller « expliquer » aux chefs d’État des pays africains qui accueillent des bases militaires françaises, « les raisons et les modalités » d’évolution de ces dernières, « tout en étant à l’écoute de leurs besoins ». Il doit finaliser le projet présidentiel plusieurs fois répété ces dernières années, mais jamais concrétisé, de « changer le statut, le format et la mission des bases militaires en Afrique », avant qu’elles ne connaissent le même sort que celles du Mali, du Burkina Faso et du Niger. La base militaire de Djibouti ne fait pas partie du lot : l’accord de défense est en cours de renégociation et le rôle qu’on veut lui voir jouer dans la réorientation de la puissance militaire française dans la zone indo-pacifique lui vaut un sort particulier. Quant aux quatre autres pays (Tchad, Côte d’Ivoire, Gabon, Sénégal), on devine un embarras qui n’est pas près de se dissiper s’il s’agit de faire avaliser la nouvelle stratégie française par des autorités – au moins formellement – légitimes.
Au Tchad, le fils Déby entend bien faire entériner par les urnes sa prise de pouvoir, au terme d’une « transition » sanglante, et son récent voyage en Russie est certainement un signal envoyé à Paris pour exiger la poursuite d’un soutien inconditionnel en vue de cet objectif. La Côte d’Ivoire, où le président Ouattara finit un troisième mandat contesté, n’est pas à l’abri d’une nouvelle crise de succession à l’approche de la prochaine élection présidentielle de 2025. Le Gabon est dirigé par un général putschiste qui bénéficie pour l’instant d’un soutien populaire pour avoir fait tomber une partie du clan Bongo, dont il est lui-même issu ; et il est loin d’avoir fait la preuve d’une volonté de rupture complète avec les logiques antérieures, l’éphémère retour de l’inamovible Marie-Madeleine Mborantsuo à la tête de la Cour constitutionnelle en témoigne. Enfin, au Sénégal, le coup d’État institutionnel du président Macky Sall, fidèle allié de Paris dans la région, vient de plonger le pays dans la tourmente (nous y reviendrons dans le prochain numéro). Dans ces conditions, on comprend qu’il est surtout urgent pour le président Macron de gagner du temps et d’amuser la galerie. Si les Français·e·s, leurs élu·e·s et leurs médias sont facilement dupes de ces procédés, les citoyen·ne·s africain·e·s ne le seront vraisemblablement pas.
Raphaël Granvaud