TotalEnergies vient de confier au Franco-Béninois Lionel Zinsou une mission d’évaluation de ses projets Tilenga et EACOP en Ouganda et en Tanzanie. L’économiste, proche du PDG de la multinationale Patrick Pouyanné, est un habitué des réseaux politiques et financiers françafricains.
Début 2024, le géant du pétrole TotalEnergies annonçait qu’il confiait au Franco-Béninois Lionel Zinsou « une mission d’évaluation du programme d’acquisitions foncières mené en Ouganda et en Tanzanie dans le cadre des projets Tilenga et EACOP, ainsi que des actions de développement socio-économique accompagnant ce programme » (TotalEnergies, 4/01/24). Pour rappel, ces projets consistaient en l’acquisition de 6400 hectares de terre pour la construction de 419 puits pétroliers dans le parc naturel de Murchison Falls, en Ouganda (Tilenga) et celle d’un oléoduc chauffé de 1443 kilomètres partant du lac Albert pour rejoindre l’océan Indien sur la côte tanzanienne (EACOP). Le rapport de cette mission devrait être rendu en avril prochain. Que peut-on en attendre, alors que des poursuites judiciaires contre Total sont toujours en cours, notamment dans le cadre d’une nouvelle action civile à Paris portée par 26 Ougandais·e·s et cinq associations, dont Survie, qui demandent des réparations pour les préjudices causés par les activités de l’entreprise (Billets d’Afrique n°329, été 2023) ? Un retour sur la carrière de Lionel Zinsou permet de se faire une idée de la teneur potentielle de ce futur rapport.
Présenté comme un ancien élève de l’École normale supérieure et de la London School of Economics sur le site de TotalEnergies, Lionel Zinsou est d’abord un économiste réputé dans les milieux d’affaires, bancaires et financiers, passé par BSN, Rothschild & Cie (où il a eu l’occasion de croiser un certain Emmanuel Macron), ou encore le fonds d’investissement PAI Partners (dossier « François Hollande en Afrique », Survie, 1/07/15). Il est fondateur et Managing Partner de SouthBridge21, une société de conseil financier et stratégique dédiée au continent africain. C’est également un habitué des cercles politiques françafricains. Ancien étudiant de Laurent Fabius, il était son conseiller spécial et sa plume quand celui-ci a été ministre puis Premier ministre. Il a également été conseiller du président béninois Thomas Boni Yayi lors de son premier mandat (2006-2011). Le 18 juin 2015, ce dernier a nommé Lionel Zinsou comme Premier ministre du Bénin, un poste qui n’existe pas dans la Constitution béninoise et qu’il a pourtant occupé pendant près de dix mois. Cette nomination s’est d’ailleurs concrétisée à l’occasion de la visite de Boni Yayi à Paris le 9 juin précédent, au cours de laquelle le président béninois aurait demandé à Laurent Fabius de convaincre son ancien conseiller d’accepter le poste (La Lettre du Continent, 19/06/2015). Celui-ci devait en effet lui servir de tremplin pour concourir, avec l’appui de la France, à l’élection présidentielle de 2016. Mais l’économiste sera finalement un candidat malheureux, doublé par l’actuel président Patrice Talon.
Lionel Zinsou est avant tout un représentant enthousiaste des intérêts économiques et financiers de la France en Afrique. En 2014, il est l’un des co-rédacteurs du « rapport Védrine », qui enjoignait l’État français à « mettre au cœur de sa politique économique le soutien à la relation d’affaires du secteur privé et assumer pleinement l’existence de ses intérêts sur le continent africain », ainsi qu’à étendre sa sphère d’influence au-delà de son pré carré historique (Billets d’Afrique n°231, janvier 2014). Parmi les quinze propositions du rapport, la dernière, « créer au bénéfice des entreprises africaines et françaises, une Fondation pour la promotion des échanges entre l’Afrique et la France dans le domaine économique », s’est concrétisée dans la création de la fondation AfricaFrance sous les auspices de Hollande et Fabius, présidée par nul autre que Lionel Zinsou (qui l’a liquidée en 2018). Cette fondation, qui se voulait « réseau social d’entreprises » était surtout un réseau françafricain, comme l’atteste le premier projet financé par la fondation, un partenariat d’exploitation forestière impliquant des proches d’un ministre congolais (Mediapart, 19/06/2015).
Enfin, selon Jeune Afrique (07/01/24), Lionel Zinsou est l’un des conseillers officieux appartenant à « la galaxie africaine de Patrick Pouyanné », PDG de TotalEnergies, sur laquelle ce dernier s’appuie pour piloter la stratégie du groupe en Afrique. Il n’hésite pas à chanter les louanges de l’entreprise, en déclarant par exemple à propos des énergies renouvelables en Afrique que « Total serait capable de faire la maîtrise d’ouvrage d’une transition extrêmement importante en termes de capital et de compétences » (C ce soir, 9/11/2022). Zinsou a beau affirmer qu’il va travailler « sans censure » et qu’il faut en finir avec le « développement prédateur » (RFI, 10/01/24), il y a ainsi fort à parier que TotalEnergies n’aura rien à craindre du rapport à venir, qui risque surtout d’être utilisé aussi bien pour redorer le blason du groupe que comme pièce dans le cadre de l’action en réparation. Pour Juliette Renaud, responsable de campagne des Amis de la Terre, association impliquée dans l’action en justice, les dirigeants de la multinationale « essaient d’avoir des noms qui puissent aider à blanchir leur image », comme ils l’avaient déjà fait en 2021 en confiant à l’écrivain Jean-Christophe Rufin, lui aussi proche de Pouyanné, une évaluation de la situation humanitaire et sécuritaire dans le cadre d’un de leurs projets au Mozambique. D’autres rapports, indépendants ceux-là, viennent pourtant confirmer les atteintes aux droits humains qui découlent de Tilenga et EACOP. Selon Human Rights Watch, la répression des opposants aux projets continue de faire rage en Ouganda (Le Monde, 2/11/23), tandis que l’ONG Greenfaith dénonce des atteintes aux sépultures sur le trajet de l’oléoduc, démenties par la multinationale française (La Croix, 10/11/23).
Nicolas Butor