Survie

Anti-Françafrique, le RN ?

(mis en ligne le 27 juin 2024) - Nicolas Butor

Il est un terrain que l’extrême-droite française, Rassemblement national (RN) en tête, se plaît curieusement à investir : la dénonciation de la Françafrique. À plusieurs reprises, Marine Le Pen a appelé à en finir avec cette politique « faite d’ingérences et d’exigences de contreparties, parfois opaques » et n’a pas hésité à se positionner contre le franc CFA, « un inconvénient économique pour les pays d’Afrique » (Le Figaro, 22/03/2017), tandis que Louis Aliot (le « Monsieur Afrique » du parti) fustigeait le soutien « pesant et coupable » de la France à certains dictateurs du continent, dans une tribune par ailleurs très confuse (L’Opinion, 20/08/2023). Mais derrière ce vernis hypocrite, des liens étroits ont toujours existé entre l’extrême-droite et le système néocolonial français en Afrique, comme l’ont rappelé Marie Bazin dans nos colonnes (Billets d’Afrique n°252, 12/2015) ou Michael Pauron (Afrique XXI, 16/02/2022).

Historiquement, c’est dans le creuset des indépendances que l’extrême-droite de l’après-guerre s’est recomposée d’un point de vue à la fois structurel et idéologique. Le Front national (FN), fondé en 1972 par d’anciens partisans de l’Algérie française (dont le tortionnaire Jean-Marie Le Pen et François Duprat venu d’Ordre nouveau), est lourd de cet héritage anti-décolonial. De nombreux militants d’extrême-droite intégreront d’ailleurs les réseaux politiques et paramilitaires de la Françafrique. Bob Denard, barbouze par excellence de ce système, n’a pas hésité à recruter comme hommes de main des proches du Front national. Dans les années 1990, le Département protection sécurité, service d’ordre du FN, a également fourni des mercenaires pour plusieurs expéditions africaines. Enfin, de nombreux proches du parti ont travaillé pour des chefs d’État africains : les très autoritaires Moussa Dadis Camara en Guinée et Mouammar Kadhafi en Libye, Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire… En 1988, le FN aurait été financé (comme d’autres partis politiques français) par l’ancien dictateur gabonais Omar Bongo, parfaite illustration de l’intégration du parti dans les mécanismes du système néocolonial français en Afrique. L’actuel RN milite pour un soutien financier massif de la France envers ses entreprises sur le continent, face à la prétendue rapacité des puissances émergentes, dans la droite lignée de la diplomatie économique françafricaine. En 2015, Marion Maréchal, alors députée, demandait ainsi à l’Assemblée nationale que l’aide publique au développement redevienne bilatérale et concentrée sur les pays d’Afrique francophone, dans un souci d’influence et de soutien aux entreprises françaises. Lors d’une visite au Tchad en mars 2017, Marine Le Pen n’hésitait pas à courtiser le président Idriss Déby et à défendre l’opération Barkhane. Plus récemment, elle se réjouissait de « l’élection » dynastique du fils Déby (lire en page 16 de ce numéro).

Alors, pourquoi cette opposition de façade ? Par opportunisme électoral auprès des diasporas africaines ? Par souci de se poser en rupture avec les traditionnels partis de gouvernement ? Un argument récurrent est en tout cas révélateur du racisme éhonté qui se cache derrière ces prises de position : l’idée que la fin de la Françafrique s’accompagnerait de l’arrêt des flux migratoires africains en direction de la France. Rappelons-le avec force : la lutte contre la Françafrique est indissociable de l’antiracisme et de la lutte pour les droits des personnes exilées. Et donc du combat contre la gangrène fasciste sous toutes ses formes.

Nicolas Butor

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