Survie

Faux départ

(mis en ligne le 31 août 2024) - Raphaël Granvaud

« L’armée se retire sur la pointe des pieds » (Libération), « L’armée française tourne la page » (France Inter), présence militaire française « en chute libre » (Mondafrique) ou « remise en question » (France Info)… À lire ou écouter certains journalistes, l’armée française serait enfin sur le départ du continent africain. Adieu les bases militaires ? En réalité, pas vraiment. Si l’on en croit les indiscrétions rapportées dans la presse, ce scénario a été proposé, parmi d’autres, et repoussé catégoriquement aussi bien par les militaires que par l’exécutif.

Certes, après l’échec cuisant de l’opération Barkhane, le refus grandissant de cette présence néocoloniale parmi les citoyennes et citoyens africain·e·s, repris à leur compte par les juntes militaires au Sahel, a contraint la France à quitter le Mali, le Burkina Faso et le Niger, mais aussi à revoir l’ensemble de son dispositif. L’heure est à la discrétion et aux bonnes résolutions. Ne devraient rester en tout que 600 militaires répartis au Gabon, au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Tchad, contre 2300 ces derniers mois, pour « répondre aux aspirations de ces pays », selon les mots de l’envoyé personnel du président Macron, Jean-Marie Bockel (audition au Sénat, 15/05/2024) dans le cadre d’un énième « nouveau modèle de partenariat militaire » annoncé par le chef de l’État en 2023.

Une nouvelle fois, nos stratèges ont été contraints de repenser les conditions non pas du départ mais du maintien d’une présence militaire permanente en Afrique, quitte à jeter du lest pour préserver l’essentiel. L’Armée ne s’en cache d’ailleurs pas : il s’agit de conserver les accès maritimes et aériens qui permettront à ces dispositifs allégés de remonter en puissance si la nécessité s’en fait sentir pour une nouvelle opération extérieure (Opex). D’ici là, la poursuite de la coopération doit « continuer à créer les conditions pour que notre armée française soit capable d’opérer avec nos partenaires africains. Comme nous l’avons fait à Barkhane », explique sans complexe le général Conruyt, directeur des ressources humaines de l’armée de terre (RFI, 07/06/2024). Le changement n’est donc pas si profond…

Autre tradition bien établie : les décisions sont arrêtées avant même la publication du rapport censé les justifier – ici en l’occurrence celui commandé par l’Élysée à Jean-Marie Bockel. Preuve supplémentaire s’il en fallait que les autorités politiques et militaires françaises ne renoncent nullement à l’ingérence armée sur le continent : en même temps qu’elles allègent le nombre de soldat·e·s prépositionné·e·s, elles ont créé au début de l’été un commandement pour l’Afrique, à l’imitation de l’Africom états-unien, pour coordonner l’activité militaire française sur le continent.

Les journalistes passent également un peu rapidement sur la base militaire de Djibouti, pourtant épargnée par la décrue des effectifs (1500 personnes toujours déployées), au motif que son activité est moins orientée vers l’Afrique que vers la défense des intérêts français en Indo-Pacifique. C’est en effet dans cette zone que se trouvent des voix commerciales maritimes stratégiques, la plupart des « confettis de l’Empire » et de ce fait 93 % de la zone économique exclusive (ZEE) française1 – la deuxième plus importante au monde. La crainte de voir cet héritage colonial menacé par les reconfigurations géopolitiques explique aussi la volonté française de remettre la main sur son ancienne base militaire navale à Madagascar, comme le rapporte le site Africa Intelligence (15/07/2024), que l’Armée française avait perdue en 1973 après les mobilisations de la « seconde indépendance » malgache. Une drôle de manière de tourner la page.

Raphaël Granvaud

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 339 - septembre 2024
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