En pleine « trêve olympique » et alors que le gouvernement français démissionnaire ne devait gérer que les affaires courantes, Emmanuel Macron a reconnu le plan d’autonomie marocain comme seule solution au Sahara occidental. Au mépris de la lutte pour l’autodétermination du peuple sahraoui.
Dans une lettre rendue publique le 30 juillet 2024 à l’occasion de la fête marocaine du Trône, célébrant l’intronisation de Mohammed VI, le président français, après quelques félicitations et célébrations des relations entre les deux pays, a offert au roi les mots tant attendus : « La France considère que le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Par cette annonce, la France se range ouvertement du côté du Maroc qui revendique la souveraineté sur le territoire du Sahara occidental depuis 1975.
Depuis cette même année, les Nations unies considèrent pourtant cette ancienne colonie espagnole envahie par le Maroc comme un territoire non-autonome et devant donc faire l’objet d’un processus de décolonisation, avec la tenue d’un référendum d’autodétermination des populations locales – scrutin attendu depuis au moins 1991… Un statu quo entretenu par les alliés du Maroc, dont la France. En 2007, le Maroc a proposé un plan d’autonomie avec création d’une région autonome sous souveraineté marocaine. Le Front Polisario, mouvement indépendantiste représentant le peuple sahraoui au niveau international, a accepté d’ajouter cette option aux choix du futur référendum prévu par l’ONU – en plus de l’indépendance ou de l’intégration pure et simple au Maroc.
Le territoire est aujourd’hui occupé à 80 % par le Maroc qui y mène une véritable politique coloniale : peuplement, investissements, exploitation des ressources… Les Sahraoui·e·s subissent arrestations, torture, négation de leur culture. Sur le territoire « libéré », contrôlé par le Polisario, 150 000 Sahraoui·e·s vivent dans des camps, dans un environnement hostile par son aridité et ses fortes températures. La lutte pour l’indépendance du Sahara occidental, et plus largement la voix du peuple sahraoui, demeurent peu visibles à l’international, même si l’annonce du soutien français au plan d’autonomie marocain leur a donné un peu de visibilité médiatique et politique (avec quelques réactions dans la classe politique française, dont celle de Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie Les Verts).
Cette annonce française s’inscrit dans une certaine continuité, la France ayant en réalité toujours soutenu le plan d’autonomie marocain qu’elle avait déjà présenté au Conseil de sécurité de l’ONU comme une « solution réaliste ». Mais c’est bien là que se situe le point de bascule, Macron ne considérant désormais plus le plan d’autonomie marocain comme une « base de discussion sérieuse et crédible », mais comme « la seule base ». Sa lettre est un exercice de style pour rester sur un fil : donner au Maroc ce qu’il souhaite sans avoir l’air d’empiéter sur le droit international. Ainsi, le président français n’affirme pas directement la marocanité du Sahara occidental et prend la précaution de se référer au Conseil de sécurité des Nations unies.
Si Macron n’a aucune légitimité pour donner une orientation sur la résolution du conflit, ses propos ont du poids. Un des conseillers du Front Polisario, rencontré lors d’une mission d’information et de solidarité à laquelle a participé une militante de Survie, expliquait que « l’atmosphère de la solution » dépend de la France, car c’est le pays qui exerce la plus forte influence internationale sur cette question (Billets d’Afrique n°317, 05/2022). Le Maroc a fait du positionnement sur le Sahara occidental la condition sine qua non de ses relations diplomatiques et a ainsi déjà poussé plusieurs pays à prendre parti : États-Unis, Espagne, Allemagne, Israël… et de nombreux pays d’Afrique, qui ont marqué leur soutien par l’ouverture de représentations diplomatiques sur le territoire occupé. La position de la France s’inscrit dans l’ensemble de ces soutiens, et affirme un « consensus international » au risque de piétiner le droit international. Une victoire pour le Maroc pour qui cela contribue à rendre de plus en plus acceptable le statut de région autonome, au détriment du projet de référendum d’autodétermination.
Les relations franco-marocaines s’étaient tendues ces dernières années : décision de réduire de moitié les visas accordés aux Marocains en 2021, affaire Pégasus la même année (édito de Billets d’Afrique n°309, été 2021), tentatives françaises de rapprochement avec l’Algérie… La reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental était donc devenu le passage obligé pour un rapprochement entre les deux pays. Plusieurs personnalités françaises, entretenant des liens d’affaires et d’amitié avec le Maroc – comme Jean-Louis Borloo, Rachida Dati ou Christophe Lecouturier (ambassadeur de France au Maroc) – ont œuvré dans ce sens (Africa intelligence, 02/08/2024).
Renouer avec Rabat devenait une nécessité pour Paris, alors que ses relations avec plusieurs pays de son ancien pré carré africain ont été rompues ou fragilisées. Ainsi, Macron présente-t-il dans sa lettre le Maroc comme un « pôle de stabilité appelé à jouer un rôle international croissant ». En effet, le Royaume gagne de l’influence dans la région sahélienne où il essaie de devancer l’Algérie. Mohammed VI a ainsi présenté fin 2023 un projet de développement de la côte Atlantique pour offrir à des États Sahéliens (Burkina Faso, Mali, Niger et Tchad) une ouverture maritime, notamment via le Sahara occidental (Le Monde, 16/01/2024). La France se montre aussi intéressée par la contribution du Maroc à la régulation des migrations et à la lutte contre le terrorisme (France culture, 01/08/2024).
Surtout, le positionnement français répond à des enjeux économiques : les tensions diplomatiques devenaient un frein pour les affaires avec le Maroc, premier partenaire commercial et première destination d’investissements de la France en Afrique. La déclaration de Macron rouvre donc la voie aux entreprises françaises, notamment dans un Sahara occidental au potentiel très attractif : eaux poissonneuses, richesses du sous-sol… Des entreprises transnationales françaises y sont d’ailleurs déjà présentes – dans l’agroalimentaire (Chancerelle), le tourisme (Transavia UCPA), l’énergie (Engie), les banques (Société générale, BNP Paribas), les assurances (Axa)… Mais d’autres étaient freinées. Eiffage, par exemple, avait été écarté du projet de construction du port de Dakhla.
Certaines entreprises n’hésitaient d’ailleurs pas à réclamer à la France cette reconnaissance de la souveraineté marocaine (Jeune Afrique, 31/07/2024). Une attention particulière a été accordée à certains grands groupes français, qui ont été informés de la lettre présidentielle avant son officialisation et leurs dirigeants reçus par Emmanuel Bonne, le conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron. Parmi lesquels Engie, EDF, Saint-Gobain, Safran, TotalEnergies (Le Monde, 30/07 /2024).
L’intensification des échanges diplomatiques entre Paris et Rabat ces derniers mois avaient montré l’attention portée au Maroc et leurs intentions très économiques : le Royaume avait ainsi reçu la visite de Bruno Lemaire, Stéphane Séjourné, Gérald Darmanin ou encore Franck Riester, qui a donné le feu vert au développement des activités de l’Agence française de développement au Sahara occidental. Avec notamment le soutien à la création d’une autoroute électrique qui reliera Dakhla à Casablanca. Signe du bénéfice de cette annonce : peu de temps après, le marché de la ligne ferroviaire Kénitra-Marrakech a été attribué à la société française Egis Rail, alors même qu’une entreprise espagnole avait fait une offre plus avantageuse.
Macron considère le « développement économique et social de la région comme un impératif » et « salue les efforts faits par le Maroc à cet égard » (Jeune Afrique, 31/07/2024). Mais du point de vue des Sahraoui⋅e⋅s, ces « efforts » pour le développement de la région participent à la colonisation et au pillage de leurs ressources. Le Front Polisario a ainsi porté plainte contre plusieurs entreprises transnationales françaises depuis 2018 pour leurs activités sur le territoire occupé du Sahara occidental : Chancerelle, BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, Axa, UCPA, Transavia et Coface. L’enjeu étant que la Justice reconnaisse le territoire comme étant occupé et que soit démontrée la contribution, même indirecte, de ces entreprises à la colonisation. Ces plaintes n’ont pas abouti. Les activités économiques sur un territoire occupé doivent pourtant se faire selon le souhait et l’intérêt des populations locales, selon un avis juridique des Nations unies rendu en 2002.
Dans sa lettre, Macron prend soin, tout comme Stéphane Séjourné, alors ministre des Affaires étrangères, lors de sa visite au Maroc en février 2024, de lier le développement économique au « bénéfice des populations locales ». Pour Antoine Le Scolan, avocat, « juridiquement, il n’y a aucun débat. Les entreprises françaises sont complètement complices de l’occupation par le Maroc d’un territoire qui n’est pas le sien » (Libération, 14/08/2024). Par l’affirmation de son soutien au plan d’autonomie, c’est donc bien une colonisation que légitime le président français. Ces investissements pourraient d’ailleurs être bientôt freinés par une décision de la Cour de justice européenne attendue cet automne sur deux traités commerciaux signés entre l’Union européenne et le Maroc, l’un sur la pêche, l’autre sur l’exportation de produits agricoles. En 2021, la Cour avait annulé ces traités au motif que la population sahraouie n’avait pas été consultée, mais un appel de la Commission et du Conseil européens ont suspendu cette première décision.
Jusque là, la France avait tenté de ménager à la fois le Maroc et l’Algérie, soutien du Front Polisario. Avec cette annonce, reçue comme un affront par Alger, la France mise diplomatiquement et économiquement sur le Maroc. Emaillées de crises diplomatiques, les tentatives de rapprochement avec l’Algérie lancées par Macron, notamment autour de la politique mémorielle, ont été peu fructueuses. Surtout, la balance économique semble avoir tranché entre les deux pays. Les échanges commerciaux avec le Maroc augmentent alors que ceux avec l’Algérie ne décollent pas (Libération, 30/07/2024).
La réaction de l’Algérie a été vive, son ambassadeur à Paris ayant été immédiatement rappelé. D’autres mesures pourraient suivre. Cependant, des représailles économiques, notamment sur les exportations de gaz, sont peu probables, car elles pèseraient plus sur l’Algérie que sur la France. Pour le moment, l’Algérie joue donc plutôt la carte de l’inertie : visas diplomatiques bloqués, ralentissement de la coopération sur les expulsions suite à des mesures d’éloignement… Mais entre les deux pays voisins du Maghreb, les tensions pourraient être ravivées.