Tandis que la junte militaire en Guinée accroît la répression contre les voix dissidentes, la France se distingue par son silence total. Comme d’habitude, coopération sécuritaire et intérêts stratégiques priment sur le respect des droits humains.
En septembre 2021, le colonel Mamadou Doumbouya, commandant des forces spéciales, renversait le président Condé et se faisait proclamer président « de transition ». Parce qu’il mettait un terme à la dérive autoritaire et sanglante d’Alpha Condé, le coup d’État a d’abord été salué par l’opposition comme par la population. Mais les promesses de retour à un régime démocratique ont fait long feu, et plus l’on se rapproche du terme annoncé de la transition (fin 2024), plus la répression s’intensifie. Par les menaces, les mesures liberticides, les arrestations arbitraires, les militaires ont poussé de nombreux opposants et les principaux responsables politiques à l’exil et ont muselé les médias.
Dans cette situation particulièrement difficile, les résistances existent toujours, animées notamment par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), créé lorsque Condé cherchait à passer en force pour obtenir un troisième mandat anticonstitutionnel. En juillet 2022, le FNDC et plusieurs partis politiques ont réussi à organiser dans la capitale d’importantes manifestations contre la junte, malgré les interdictions officielles. En février dernier, une grève générale, appelée sur des mots d’ordres démocratiques et sociaux, a permis d’obtenir la libération d’un journaliste syndicaliste.
Mais la répression rend les mobilisations de plus en plus difficiles. Un rapport d’Amnesty international paru en mai 2024 (« Une jeunesse meurtrie »), recense « au moins 47 personnes (…) tuées et un plus grand nombre encore gravement blessées » par les forces de l’ordre depuis le coup d’État. Si certains partis font profil bas en vue d’un hypothétique scrutin à venir, les militant·e·s du FNDC ont continué à dénoncer publiquement les agissements des militaires au pouvoir. En juillet, la répression est montée d’un cran. Oumar Sylla, dit Foniké Menguè, et Mamadou Billo Bah, militants du FNDC et de Tournons La Page Guinée, ont été enlevés par des forces spéciales et des gendarmes alors qu’ils menaient campagne contre la censure des médias. Ils sont depuis portés disparus. Un de leur camarade, arrêté puis relâché, fait état de tortures.
En juillet, les épouses des deux militants ont déposé plainte en France pour « disparition forcée » contre le colonel Doumbouya. Celui-ci, ex officier de la légion étrangère française, et marié à une gendarme française, bénéficierait en effet de la double nationalité. Elles ont continué ensuite à interpeller publiquement les autorités guinéennes, qui nient l’enlèvement des activistes. L’affaire a été dénoncée par le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme. L’ambassade des États-Unis en Guinée s’est alors dite « profondément préoccupée par la disparition et le bien-être » des deux hommes, de même que l’Union européenne, le Royaume-Uni. Mais pas la France.
La France regarde ailleurs
Une tribune, co-signée par plusieurs syndicat et ONG (dont Survie) (« La Guinée s’enfonce dans la répression et la France regarde ailleurs », Libération, 07/09/2024), dénonce « la complaisance, que la France entretient une fois de plus avec un gouvernement autoritaire en Afrique » et l’appelle à « communiquer de manière transparente sur tous les aspects de sa coopération actuelle avec la Guinée et suspendre tout appui susceptible de participer à la répression des populations, notamment sa coopération sécuritaire ».
Après le coup d’État, Paris a en effet renforcé sa coopération militaire dans le pays. Outre celle menée par la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) et les programmes d’appui à la gendarmerie, la France forme aussi les Forces spéciales guinéennes à la lutte contre le terrorisme depuis 2022 et leur nouveau chef a, comme Doumbouya, été formé à l’École de guerre de Paris. Selon Africa Intelligence (26/07/2024), l’attaché de défense français à l’ambassade de Conakry aurait même été exceptionnellement maintenu un an de plus à son poste en raison de la « relation de confiance » qu’il a su nouer avec le président Doumbouya.
Consciente qu’un affichage trop voyant aux côtés des forces de répression pourrait nuire à l’image de la France dans le pays, déjà singulièrement dégradée dans les pays voisins, « le Quai d’Orsay a recommandé à la quinzaine de coopérants de sécurité en fonction en Guinée de limiter les apparitions publiques aux côtés de leurs homologues locaux » (Africa Intelligence). Mais pas questions d’émettre publiquement la moindre critique contre la répression du régime en place, courtisé par la Russie et la Chine. Les autorités françaises, par la voix de leur ambassadeur, Marc Fonbaustier, se sont jusque-là contentées de mettre en valeur des projets de coopération dans le domaine sportif à l’occasion des JO (où était invité, comme d’autres chefs d’États africains, le colonel Doumbouya). Le 7 juin, l’ambassadeur a par exemple annoncé la création d’une école de cirque. Il y animera sans doute l’atelier « clown », mais pas certains que cela amuse les Guinéen·ne·s. _ Raphaël Granvaud