Dans une série d’enquêtes, Mediapart révèle l’ampleur des conséquences sur le climat, l’environnement et la santé, du torchage pratiqué en Afrique et au Moyen-Orient par plusieurs grandes compagnies pétrolières en Afrique et au Moyen-Orient. Dont deux bien de chez nous.
Des tours métalliques crachant, parfois sans interruption, d’immenses colonnes de flammes : voilà le paysage quotidien des milliers de personnes vivant à proximité d’installations pétrolières pratiquant le torchage. Le torchage de gaz est un procédé consistant à brûler les excédents de méthane issus de l’exploitation du pétrole et du gaz, ce qui entraîne la formation de torchères, ces fameuses hautes flammes. Cette pratique est climaticide, parce qu’elle rejette de grandes quantités de CO2 dans l’atmosphère, mais aussi dangereuse pour la santé : les fumées qui s’en échappent contiennent des particules fines et un grand nombre de composés chimiques cancérogènes, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ou le benzène.
Publiée en septembre et octobre derniers par Mediapart et réalisée en partenariat avec treize médias internationaux, la série d’enquêtes Burning Skies révèle que, contrairement à ce que veulent faire croire les entreprises pétrolières pratiquant le torchage, celui-ci a des conséquences de grande ampleur en termes de changement climatique, de pollution environnementale et de santé. Parmi les mises en cause dans l’enquête, deux compagnies bien de chez nous paradent au palmarès : la française TotalEnergies et la franco-britannique Perenco.
Pour évaluer les émissions de gaz à effet de serre liées à ce procédé, les journalistes ont utilisé les données satellitaires fournies par le Groupe d’observation de la Terre du Payne Institute for Public Policy et l’ONG environnementale SkyTruth, portant sur 665 infrastructures pétrolières et gazières en Afrique et au Moyen-Orient, de 2012 à 2022. Ils ont ainsi pu révéler que, sur cette période, TotalEnergies est responsable du rejet de 63 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère juste par torchage.
Les chiffres fournis par l’entreprise sont pourtant bien en deçà, ce qui s’explique par sa bien arrangeante méthode de calcul : le groupe s’attribue 100 % des émissions de gaz à effet de serre quand il est opérateur de celui-ci, mais 0 % quand il en est uniquement actionnaire ! Cela lui permet par exemple de ne déclarer aucune émission sur le site de Halfaya (Irak), dont le groupe est actionnaire à 22,5 %, et dont les torchères ont pourtant rejeté 24 millions de tonnes de CO2 en dix ans.
Plus petite, plus discrète, Perenco n’est pas en reste et émet même davantage que TotalEnergies dans les six pays de la région dans lesquels elle opère, avec 66 millions de tonnes de CO2 entre 2012 et 2022. Le bilan s’alourdit quand on calcule les émissions par volume de pétrole produit : elles sont alors dix fois plus importantes que celles de son homologue. Cette différence s’explique par le modèle économique de l’entreprise, qui consiste à racheter de vieux champs pétroliers en fin de vie, souvent moins productifs et plus polluants, mais aussi par un manque d’effort pour limiter les effets néfastes du torchage.
Perenco est par exemple la seule des sept plus grandes entreprises pétrolières européennes qui n’a pas adhéré à la « Zero Routine Flaring by 2030 ». L’objectif de cette initiative, portée par la Banque mondiale, est de supprimer d’ici 2030 le torchage « de routine », presque permanent mais pas nécessaire, contrairement au torchage « de sécurité », qui permet par exemple d’éviter des explosions. Au Gabon, au Congo-Brazzaville et au Cameroun, le groupe a également torché de grands volumes de gaz, alors que la pratique y est théoriquement interdite ou étroitement réglementée. Par ailleurs, les activistes qui dénoncent la pollution de Perenco au Kongo-Central (République démocratique du Congo) subissent menaces et intimidation-.
Depuis mi-août 2024, les deux firmes exploitent main dans la main, avec l’italienne Eni et la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) le terminal de Djeno, par lequel transite presque tout le pétrole extrait au Congo-Brazzaville (Africa Intelligence, 01/10/2024). Installé à seulement un kilomètre de la ville, le site, dont les torchères polluent la région depuis 1972, était d’abord la possession de TotalEnergies et d’Eni, avant d’être rendu à l’État congolais en 2020, à la fin du contrat de concession. Mais suite à un nouvel accord d’exploitation, la firme française est restée actionnaire principale du terminal (48 %) et a été rejointe par Perenco (11 %).
Cet accord reste très avantageux pour les entreprises pétrolières, qui n’auront à verser à l’État qu’un loyer de 1,5 million de dollars par mois – une bagatelle, au vu des juteux bénéfices du terminal. Si des frictions existent entre TotalEnergies et Perenco, notamment sur la répartition des coûts de gestion de l’eau, il y a fort à parier que le rôle de « vigie » que Brazzaville veut attribuer au nouvel actionnaire ne se fera pas au bénéfice des habitant·e·s de Djeno, meurtri·e·s dans leur environnement et dans leur chair, et qui se battent depuis des années pour obtenir des réparations.
Nicolas Butor