En septembre 2024, Billets d’Afrique n°339, analysant la décision de Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, de relancer l’exploitation d’un des plus gros gisements mondiaux de gaz naturel au large du Mozambique (stoppée en 2021 suite à des attaques djihadistes), mettait en garde sur les « répercussions sociales, environnementales, climatiques et sécuritaires » d’un tel projet. L’enquête publiée par le média en ligne Politico (26/09) en montre un aspect particulièrement sanglant : le massacre, en 2021, de quelque 200 civils par les soldats mozambicains employés par la multinationale pour protéger son site gazier d’Afungi. Cet été-là, des centaines de villageois·e·s fuyant les violences islamistes pensaient trouver refuge auprès de ces soldats… qui se sont empressés de séparer les hommes des enfants et des femmes. Puis, pendant qu’ils commettaient des agressions sexuelles contre ces dernières, ils enfermaient dans des conteneurs les hommes. De 180 à 250 individus affamés, torturés, exécutés… Seulement 26 ont survécu. Peu avant, à quelques kilomètres de là, à Palma, une ville attaquée par les djihadistes, ces mêmes forces militaires s’étaient tristement illustrées en se contentant de protéger les installations de Total et non les civils : plus de mille morts au final ! Suite à la plainte déposée en octobre 2023 par des survivant·es ou familles de victimes de Palma, le Parquet de Nanterre a ouvert en mai dernier une enquête préliminaire contre Total pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger. De son côté, une coalition d’ONG internationales appelle à l’ouverture d’une enquête indépendante sur le massacre d’Afungi.
Autre domaine où TotalEnergies nie toute responsabilité : ses agissements climaticides et écocides. Et notamment autour de son mégaprojet pétrolier, avec le chinois CNOOC, de construction du plus long oléoduc chauffé au monde et de forage de 419 puits de pétrole en Ouganda (Billets d’Afrique n°329, été 2023). Un tiers de ces puits sont prévus dans le parc national « protégé » des Murchison Falls, dans l’ouest du pays. Une zone reconnue clé pour la biodiversité, mais aussi convoitée par la multinationale pour ses réserves de pétrole parmi les plus importantes de l’Afrique subsaharienne. En plus du scandale humain que constitue ce projet (expulsion de leur terre des populations, privées de leurs moyens de subsistance et souvent non ou peu indemnisées, répression gouvernementale contre ses opposant·e·s...), les forages et les activités liées menacent écosystèmes locaux et biodiversité. C’est ce que dénonce le rapport de l’association ougandaise Afiego, publié par les Amis de la Terre ce 19 septembre. « Le parc national de Murchison Falls est en train de mourir » : le titre du rapport, qui fait le bilan d’un an d’exploitation pétrolière, résume bien la gravité de la situation. Menaces sur les zones humides nécessaires à la pêche, sur les moyens de subsistance des communautés locales, sur la biodiversité, sur plusieurs espèces animales – dont les éléphants qui, migrant hors du parc, dévastent les cultures et tuent des personnes. L’Afiego demande la cessation immédiate des activités pétrolières dans le parc, et l’indemnisation des communautés vivant dans les territoires impactés par l’exploitation pétrolière.
Autre scandale pour TotalEnergies. Une enquête internationale, menée notamment par Mediapart (30/09), vient de révéler l’existence d’un rapport confidentiel, réalisé en 2016 par un cabinet spécialisé à la demande de la multinationale elle-même. Celui-ci concerne l’impact sur la faune et la flore de son terminal pétrolier implanté depuis 1972 à Djeno, au Congo-Brazzaville (voir également page 7) et sa lecture montre que, depuis 2012 au moins, Total sait qu’elle ne respecte pas ici les normes internationales en matière environnementale : « pollutions chroniques et accidentelles […] à intervalles réguliers », fuites de pétrole dans la lagune, « aucune action de dépollution » suite à un déversement en 2007, traitement insuffisant avant leur rejet en mer des eaux utilisées pour faire fonctionner les installations et des eaux de pluie contaminées dans l’enceinte du terminal. Celles-ci contiennent des composés chimiques du pétrole (HAP), dont certains classés cancérogènes… À ce propos, le rapport cite une étude interne du groupe pétrolier constatant qu’en 2012, ces eaux contenaient des « valeurs [d’HAP] supérieures au seuil de 10mg/l correspondant à la législation française ». Total était alors censé engager des travaux pour les réduire. L’enquête internationale conclut que la pollution a plus que doublé en une décennie – notamment du fait du torchage (brûlage de l’excès de méthane s’échappant du terminal) –, continuant d’empoisonner l’air et la mer, la vie animale et humaine : dermatoses, maladies pulmonaires, cardiaques, cancers, etc. En toute impunité. En 2020, la Cour d’appel de Pointe-Noire suspendait l’application d’un premier jugement obligeant Total à dépolluer la lagune et verser des dommages et intérêts à une ONG congolaise.
La même année, Patrick Pouyanné se félicitait qu’« au Congo, l’histoire de Total va continuer en bonne confiance avec les autorités du pays »… Pas seulement au Congo : c’est bien l’ensemble de l’Afrique qui est victime des méfaits du géant pétrolier.