Survie

Le Collège de Mwendao

Vu depuis Mayotte

(mis en ligne le 30 janvier 2025) - Saari Nay

Arrivée à Mayotte pour une première expérience dans l’Éducation nationale, Saari Nay (c’est un pseudonyme) partage ici ses observations recueillies au cours d’une année d’enseignement dans un collège de ce « 101e département français ».

Le collège de Mwendao [1] ne cesse de s’agrandir au fil des ans pour accueillir des élèves toujours plus nombreux. Bien que les établissements scolaires de l’île soient épargnés par les coupures d’eau, les cours sont tout de même régulièrement annulés ici à cause de divers problèmes de canalisations. Comme quasiment partout à Mayotte, pas de cantine scolaire. Dès que sonne la récréation du matin, de longues files d’adolescent·e·s se forment pour recevoir chaque jour le même sandwich de pain blanc carottes-maïs-sauce mayonnaise. À l’extérieur, la police, présente quotidiennement, prévient ou disperse les rixes, nombreuses entre quartiers…. quand elle n’interpelle, n’incarcère, puis ne renvoie pas vers les Comores indépendantes voisines un parent d’élève venu au collège.
Les collégien·ne·s de Mwendao vivent majoritairement dans des « bangas », habitats en tôle parfois difficiles d’accès et sans eau courante. La collation scolaire est pour une partie des élèves le seul repas de la journée. En janvier dernier, alors que l’acheminement des denrées alimentaires était bloqué par les barrages des Forces vives [2], bien des élèves n’avaient mangé que du pain sec et s’endormaient sur leur pupitre. Ils sont nés à Mayotte, aux Comores ou à Madagascar. Leur statut administratif est plus ou moins précaire – un tiers français, un tiers avec titre de séjour, un tiers sans-papiers.

Mépris en prime

Dans la salle des professeurs, les énergies sont tournées vers la complainte du temps présent et les ragots. Les « Métropolitains », majoritaires, occupent généralement les canapés tandis que les Mahorais et Comoriens à leur tour se divisent les espaces moins confortables. Le sujet de l’argent rassemble les conversations : enseigner à Mayotte est une opportunité financière, comme me le prouve un collègue à force d’additions, ou cet autre qui, à la pause café, sort les plans de sa maison normande en cours de construction. Titulaires ou contractuel·le·s, payé·e·s entre 3000 et 6000 euros par mois, ces enseignant·e·s vivent une toute autre vie que leurs élèves. Les postes vacants sont nombreux, ils enchaînent les heures supplémentaires et gagnent plus.
La « faiblesse », la « stupidité » des collégien·ne·s ou le manque d’implication de leurs parents sont décriés comme des fatalités : « Les gens ont trop d’enfants et ne s’en occupent pas. Ils leur servent juste à obtenir des papiers », avance une conseillère principale d’éducation. Mais ce supposé détachement des parents d’élèves est aussi un avantage : « Contrairement à la métropole, si je veux humilier un élève, je peux le faire et personne ne me dira rien », me confie une professeure d’anglais. La situation politique tendue de Mayotte et l’activisme policier lié à l’immigration ne semblent que très rarement pris en compte par les équipes éducatives pour comprendre les difficultés des élèves et imaginer des solutions. Les appels à la grève concernent les salaires ou la retraite mais – du moins ici à Mwendao – la réalité locale est un non-sujet. L’approche plurilingue et pluriculturelle reste un impensé pour les enseignements, l’usage du shimaore (la principale langue autochtone) est interdit en classe. En outre, le décalage économique et culturel entre professeurs et élèves est immense. Comment ces derniers peuvent-ils alors s’emparer des enseignements ?

Curieux et bloqués

Les collégien·ne·s ne critiquent pas directement ce système inégalitaire, mais ils ne cessent d’aborder des sujets hautement politiques. Ils évoquent ainsi le racisme au collège : les adolescent·e·s blanc·he·s (très minoritaires) seraient favorisé·e·s par rapport aux Noir·e·s. Souvent le thème de la violence apparaît dans leurs rédactions, avec la figure du délinquant qui cristallise les peurs. Un jour, alors qu’un de leurs camarades s’est fait kidnapper et poignarder, les adolescent·e·s racontent leur angoisse constante d’être agressé·e·s, et la facilité avec laquelle un conflit peut dégénérer : « À Mayotte, il y a beaucoup de violences à cause des filles, du sexe, de l’amour, même à cause des chiens ! »
Les idées politiques des élèves reflètent in fine celles de la société mahoraise. Certains souhaitent renforcer les forces de police ou construire plus de prisons, d’autres dénoncent l’hypocrisie des Mahorais qui embauchent des travailleurs sans papiers tout en luttant contre l’immigration clandestine. «  Mayotte est pauvre sans les Comores. Les Comoriens viennent cultiver et bâtir Mayotte », argumentent-ils. Mais tous s’accordent en disant : « La France s’en fout de nous ! »
Les défis que doit affronter le « 101e département » pèseront bientôt sur les épaules de ces jeunes, pourtant globalement méprisés par le système scolaire, outil d’une politique éducative coloniale assimilationniste, qui tient d’abord par l’appât du gain. Écraser la culture, interdire la langue, ignorer la réalité sociale des élèves... Que pourrait faire d’autre la France dans l’une de ses dernières colonies ?
Saari Nay

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[1Le nom a été changé. Mwendao en shimaore signifie « On y va »

[2Mouvement de protestation contre l’insécurité et l’immigration clandestine à Mayotte.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 341 - novembre 2024
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