Après avoir imposé une campagne législative express, Emmanuel Macron s’est accordé pas moins de 51 jours pour nommer un premier ministre et consacrer l’union macro-lepéniste en la personne de Michel Barnier, quintessence d’un gaullisme réactionnaire… et, sans surprise, françafricain.
Une presse algérienne présentée comme « libre et diverse » au moment même où le journaliste Mohamed Benchicou vient d’être emprisonné pour ses critiques du régime Bouteflika (Billets d’Afrique n°133, 02/2005). Ou Omar Bongo, président du Gabon sans discontinuer depuis 1967 (et ce jusqu’à qu’à sa mort en 2009), désigné comme « un homme qui a une expérience, un regard, une expertise tout à fait irremplaçable » (Le Monde, 8/08/2004). Chef du Quai d’Orsay en 2004-2005, Michel Barnier se sera montré plus que conciliant envers des régimes politiques douteux – en particulier lorsque ceux-ci défendaient les intérêts français en Afrique. Le ministre s’était également dit « très heureux » de rencontrer son homologue soudanais Moustafa Othman Ismaïl, représentant d’un gouvernement qui a incité les milices Janjawid à nettoyer ethniquement une partie du Darfour (Billets d’Afrique n°128, 09/2004).
Autre point problématique de son CV occulté par les grands médias : la mystérieuse affaire Bouaké. Le 6 novembre 2004, en Côte d’Ivoire, le bombardement par deux avions ivoiriens du camp militaire français de Bouaké tue neuf soldats français et un civil américain. En réaction, l’armée française détruit l’entièreté de la flotte aérienne ivoirienne, provoquant une mobilisation des Ivoiren·ne·s réprimée dans le sang (nous y reviendrons dans notre prochain numéro). Mis à la disposition de la France par le Togo, les pilotes responsables du bombardement seront relâchés, faisant suspecter un coup tordu de Paris. Une juge d’instruction a demandé le renvoi des ministres de l’époque devant la Cour de justice de la République, pour « entrave à la manifestation de la vérité » et « non-dénonciation de crime ». Demande rejetée. Ils ne seront finalement entendus que seize ans plus tard comme simples témoins lors du procès par contumace des pilotes disparus. Barnier, ministre des Affaires étrangères au moment des faits, assurera n’avoir rien su, rien entendu, tenu à l’écart qu’il était par l’Élysée et l’état-major.
Michel Barnier, c’est finalement le statu quo entre la France et ses colonies, anciennes… ou actuelles, à l’instar de sa déclaration d’amour paternaliste à « l’Outre-mer, ce cœur battant de la France » (France-Antilles, 19/10/2021). Une France où l’état de droit ne s’applique pas : candidat à l’investiture des Républicains pour la présidentielle de 2022, le nouveau premier ministre a ravivé l’abjecte proposition de la suppression du droit du sol à Mayotte et « pour certaines collectivités d’outre-mer dans lesquelles nous sommes confrontés à des politiques de peuplement non maîtrisées » (Le Monde, 15/11/2021). Opposé en 1990 à la loi Gayssot réprimant la négation des crimes contre l’humanité, l’aversion libérale de Barnier pour la contrainte semble s’évaporer lorsqu’il s’agit des derniers confettis de l’Empire français… ainsi que des droits des femmes, des personnes exilé·e·s, LGBT+, pauvres… En témoignent ses prises de position rétrogrades pendant ses presque quinze ans de mandat de député RPR.
Marque d’une fossilisation avancée de la vie politique française, la nomination de Michel Barnier entérine une Ve République obstinément raciste, coloniale, impérialiste… En un mot, criminelle.