Vers la guerre ? – La France face au réarmement du Monde : c’est le titre (un rien anxiogène) d’un livre, paru début octobre, dans lequel Sébastien Lecornu, ministre des Armées, défend sa politique militaire. Son éditeur, Plon, nous précise que celle-ci s’inscrit dans la lignée du « modèle gaullien, magistralement mis en œuvre et incarné par Pierre Messmer ». Celui-là même qui débuta sa carrière dans la haute administration coloniale, avant d’être un des principaux architectes de la Françafrique, sacré programme !
Tous deux ont en commun d’avoir au cours de leur carrière été ministre des armées, mais aussi des outre-mers – autant dire des ultimes colonies françaises. Elles occupent justement une place de choix dans la stratégie de « défense nationale » prônée par Lecornu, qui y identifie de nombreuses menaces : « Les Antilles […] sont au cœur des routes du narcotrafic, l’archipel de Mayotte est aux prises avec des flux migratoires venant des Comores et désormais de l’Afrique des Grands Lacs, sans oublier le risque terroriste présent non loin de là au Mozambique et dans le canal du même nom ».
De quoi justifier les importants « efforts » actés lors de la loi de programmation militaire 2024-2030, dont l’un des objectifs est de « renforcer notre souveraineté dans les Outre-mer » : augmentation des effectifs et des moyens matériels, avec un budget spécifique de 13 milliards d’euros. La concrétisation d’un volontarisme affirmé dès janvier 2023 par le président de la République lors de ses vœux aux armées : « Nos outre-mers ne doivent jamais quitter notre regard et notre présence. Et la marche du monde met nombre de ces territoires, en particulier dans le Pacifique et l’océan Indien, aux premières loges des possibles confrontations de demain ».
Que la France se retrouve à assurer la défense de territoires situés à des milliers de kilomètres de l’Hexagone n’est, bien entendu, jamais questionné. Et ni Emmanuel Macron, ni son ministre ne font beaucoup cas de la volonté des populations locales, « protégées » quoi qu’il en soit. Aucun des deux ne cherche non plus à masquer le fait que l’État défend d’abord ici ses intérêts propres. « La France possède la deuxième zone économique exclusive du monde grâce à nos Outre-mer » rappelait ainsi le premier. Quand le second affirme que le déploiement des « forces de souveraineté » (cela sonne en effet mieux que « forces d’occupation ») sont « un des moyens pour nous d’affirmer aujourd’hui une légitimité singulière auprès de la plupart des États de l’Indopacifique ».
Singulière en effet, cette légitimité qui consiste, dans cette vaste zone, à maintenir sous sa tutelle directe deux territoires, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, encore considérés comme non décolonisés par les Nations unies. Ou cet autre, Mayotte, qui devrait selon le droit international faire partie des Comores indépendantes, comme l’ont confirmé de multiples résolutions onusiennes depuis 1973.
Ce renforcement des capacités militaires dans les « outre-mers » offre pour Paris un double avantage. D’abord réaffirmer sa place sur « l’échiquier mondial » grâce à son rôle classique de puissance coloniale. Ensuite faciliter la répression de tout mouvement de protestation local, qu’il porte des revendications indépendantistes ou simplement sociales – tel les soulèvements contre la vie chère qui embrasent régulièrement Antilles françaises et Guyane. De Messmer à Lecornu, ce sont les mêmes bruits de botte pour la défense à tout prix d’un empire qui, décidément, ne veut toujours pas mourir.