Survie

Cafi : 
l’arbre qui cache la forêt

Greenwashing en Afrique centrale

(mis en ligne le 28 mars 2025) - Nicolas Butor

Créée il y a bientôt dix ans, l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (Cafi) a pour objectif affiché d’allier protection de l’environnement et développement économique. Mais on retrouve derrière les injonctions à la rentabilité, l’adaptation aux marchés internationaux et même… l’Agence française de développement.

Le 7 octobre 2024, l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (Cafi, pour Central African Forest Initiative) et l’État camerounais annonçaient en grande pompe la signature commune d’une lettre d’intention au cours de la conférence sur le développement durable de Hambourg, en Allemagne. L’objectif de ce partenariat : investir 2,5 milliards de dollars « pour assurer la transition du Cameroun vers une croissance économique verte » et développer dans le pays « une agriculture libre de déforestation », le tout à l’horizon 2035 (Cafi.org, 8/10/2024). Quelques jours plus tard, à Libreville, les autorités gabonaises faisaient le point sur les programmes Cafi 2 et 3, financés par l’initiative éponyme, qui « visent à réduire de plus de 50 % les émissions de gaz à effet de serre issues des activités forestières d’ici » (Gabonreview, 20/10/2024).
Mais qu’est-ce que la Cafi exactement ? L’institution, créée en 2015 en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, se présente sur son site web comme « un fonds fiduciaire qui soutient les investissements directs sur le terrain et une plateforme de dialogue politique de haut niveau ». Elle rassemble notamment un ensemble de bailleurs (dont la France, l’Union européenne et le Royaume-Uni, qui en assure actuellement la présidence), et six pays d’Afrique centrale où sont mis en place les divers projets financés par la Cafi : Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, République du Congo et République démocratique du Congo.

Croissance verte et marchés internationaux

Pas des philanthropes, donc, mais bien un fonds d’investissement international, géré par le Multi-Partner Trust Fund Office des Nations Unies. Si la Cafi se targue, dans la lettre d’intention qu’elle a signée avec le Cameroun, de vouloir accompagner les 700 000 ménages camerounais qui dépendent de la production de café et de cacao (dont le pays est le 5e producteur mondial), c’est d’abord pour « offrir une réponse à la demande régionale croissante  » pour ces deux produits, comme l’indique le premier volet du projet brillamment intitulé «  L’intensification durable (sic) de l’agriculture ». Sous le vernis du développement durable et de l’agro-écologie, elle encourage donc un modèle très colonial de production et d’exportation des matières premières brutes vers l’Europe…
L’adéquation au marché européen est d’ailleurs au cœur de cette lettre d’intention, puisque celle-ci promet de coller à divers accords de partenariat entre l’Union européenne et le Cameroun.

Un label pas si beau

Il en va de même au Gabon, où l’objectif des programmes Cafi 2 et 3 est de mettre en place « un processus de certification FSC (Forest Stewardship Council) à l’échelle nationale » (Gabonreview, 13/09/2024). Outre le fait qu’il s’agit, une fois encore, de normes imposées de l’extérieur, le label FSC (« Conseil d’entretien de la forêt » en français) fait l’objet depuis plusieurs années de nombreuses critiques, qui déplorent que l’ONG du même nom qui le délivre certifie des monocultures sylvestres au mépris des « nombreuses preuves de l’absence de durabilité sociale et environnementale  » de ce genre de plantations (The Ecologist, 22/09/2009). Plusieurs scientifiques ont d’ailleurs mis en doute l’efficacité de ce dispositif, comme Peter Potapov, co-rédacteur d’une étude sur la disparition des paysages forestiers intacts parue en 2018 (RTBF, 24/06/2018) : « Environ la moitié des paysages forestiers intacts dans des concessions certifiées FSC ont été perdus entre 2000 et 2016 au Gabon et en République du Congo, selon les nouveaux chiffres. Et au Cameroun, 90 % des forêts suivies par le FSC ont disparu. »
Cette emprise de la raison économique sur la préservation de l’environnement est résumée par Christophe du Castel, chargé de projet Développement durable à l’Agence française de développement (AFD) : « La seule façon de préserver la forêt est de lui donner une valeur économique et donc de développer l’exploitation forestière de façon encadrée » (Novethic, 25/07/2018). En tant qu’organisme de mise en œuvre, l’AFD finance en effet cinq projets sous la bannière de la Cafi : deux en République démocratique du Congo (RDC), un au Gabon et deux en République du Congo (Rapport annuel de la Cafi, 31/05/2024). Le fameux programme gabonais d’appui à la certification FSC évoqué plus haut était d’ailleurs initialement mis en œuvre par l’AFD avant de passer entre les mains de l’ONG The Nature Conservancy.

Derrière la Cafi, l’AFD

Parmi tous ces projets, le programme pour la gestion durable des forêts en RDC, cofinancé par la Norvège et l’AFD à hauteur de 12 millions de dollars. Avant même son lancement, trente scientifiques avaient exhorté dans une lettre ouverte le ministre de l’Environnement norvégien à rejeter ce programme, qui, selon eux, mettrait en danger les tourbières du bassin du Congo – les plus grandes du monde, stockant 30 milliards de tonnes de carbone ! « Couper les arbres ou modifier le drainage, alertaient-ils, peut facilement conduire ces tourbières à relâcher dans l’atmosphère le carbone stocké. » Le programme a pourtant été approuvé en 2019 et est toujours en cours actuellement.
Les liens entre l’exploitation tricolore des forêts d’Afrique centrale et la Cafi peuvent passer par d’autres canaux, comme dans le cadre du projet Piredd en RDC. Celui-ci, financé par les Nations unies et l’association WWF (par le biais de la Cafi), a pour opérateur principal le bureau d’étude Forêt Ressources Management (FRM), basé à Montpellier. Omniprésent dans le bassin du Congo, FRM est « l’un des meilleurs représentants du microcosme d’acteurs français qui façonne depuis des décennies le secteur forestier  » de la région, comme le révélait l’année dernière le média en ligne Afrique XXI (25/03/2024). Plusieurs entreprises partenaires de FRM sont accusées de pratiques illégales (exploitation sans permis, dépassement de quotas, vente d’essences protégées…) incompatibles avec l’objectif affiché de durabilité, et le bureau travaille depuis 2019 avec TotalEnergies sur des plantations servant à générer des crédits-carbone, au détriment de la biodiversité et des populations locales.

Or vert, or noir

Enfin, aucun des engagements de façade en faveur du climat qui caractérisent les projets estampillés Cafi n’empêche les pays de continuer par ailleurs à extraire du pétrole (Afrique XXI, 14/09/2022). Par exemple, l’engagement de la RDC avec la Cafi dans le cadre du processus Redd+ (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation), élaboré par les Nations unies, n’interdit nullement au pays d’investir dans les hydrocarbures, tant que l’exploitation a lieu dans des zones non protégées. Pire encore, la RDC ne s’est pas gênée pour accorder des concessions pétrolières en forêt… en infraction flagrante avec ses engagements auprès de la Cafi.
Nicolas Butor


Un nouveau partenariat franco-gabonais

Le 28 octobre dernier, à l’occasion de la Conférence de Cali de 2024 sur la biodiversité (ou COP16) en Colombie, le Gabon, la France et plusieurs partenaires internationaux (dont l’ONG The Nature Conservancy) annonçaient la mobilisation de 60 millions de dollars « pour soutenir l’ambition du Gabon en faveur de la conservation de la biodiversité et du climat  » (ministère de l’Écologie, 29/10/2024). Annonce faite par la ministre française de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher (dont les liens avec la très climaticide Perenco ne sont plus à rappeler), et le ministre gabonais des Eaux et Forêts, Maurice Ntossui Allogo. Le partenariat repose sur quatre axes de travail, dont le deuxième fait explicitement référence à la Cafi : «  Investir dans la gestion durable des forêts, les chaînes de valeur durables et la valorisation du capital naturel en capitalisant sur les projets en cours ». Au programme ? « Généralisation de la certification forestière », « mécanismes financiers favorables à la biodiversité, au climat et aux populations  », ou encore « renforcement d’une économie pro-nature ». Une fois encore, pour l’environnement comme pour le reste, en dehors du business, point de salut.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 343 - janvier 2025
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